L'histoire :
Ce soir-là, en ramenant ses enfants de l’école, Pierre Wazem évite de peu d’écraser un hérisson. Il dérape et s’arrête en travers de la route. Ce qui le laisse perplexe, en y regardant de près, c’est que ce hérisson a un dossard (numéro 16) ! Il y a quelques années, il aurait rebondi sur cette improbable anecdote pour en faire une BD ! Mais aujourd’hui, il n’a plus envie. Plus envie de dessiner, plus envie d’être avec ses parents, plus envie de passer du temps avec ses enfants, plus envie d’être avec sa femme, plus en envie d’être avec ses maîtresses, plus envie de rien. Il a bien un projet de bouquin derrière la tête, Mars aller-retour, mais il ne parvient pas à se donner l’élan pour d’y mettre. Ses enfants lui rappellent chaque jour qu’il leur a promis de leur fabriquer un théâtre de marionnette, mais ça non plus, il ne s’en occupe pas. Auprès de son collègue d’atelier, il se lamente tout en avouant son incapacité à réagir. Et il se déteste, parce qu’il sait qu’il se complait dans cette procrastination déprimante et auto-flagellée, et qu’en y restant, il fiche tout le monde dans une sacrée merde financière. Car il y a des traites à payer, des courses à faire et son niveau d’endettement augmente… Et puis un jour qu’il déprime en glandant seul dans une forêt, il trouve une bicoque à l’abandon. A l’intérieur, par un trou dans une lame de parquet, aussi improbable celui puisse paraître, il y a la planète Mars, belle, énorme, fascinante. Il comprend alors que cette baraque est un astronef qui va l’emmener là-bas…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il y avait bien longtemps que Pierre Wazem n’avait plus rien produit en tant qu’auteur complet. Et pour cause ? Cet épais album – qu’il réalise bel et bien en tant qu’auteur complet – aborde justement la problématique, en profondeur et avec un onirisme finaud. Wazem se met en scène dans sa vie d’artiste, en famille et entre collègues, et il n’est pas tendre avec lui-même. Il commence par assumer frontalement sa tendance à la procrastination (toujours remettre à demain ce qu’il n’est pas nécessaire de faire aujourd’hui), à la déprime, à satisfaire son égo… Bref, à subir le manque d’inspiration et son incapacité à embrasser le bonheur. Accompagné par des teintes obscures, voire carrément noires (c’est comme ça, la déprime), son dessin allie une sorte de minimalisme (pour les tronches, notamment) et un traitement graphique moderne et spontané pour les arrière-plans, à grands coups de brosses ou de décors plus aboutis. Pas très loin, en tout cas, d’un Manu Larcenet (hé, ça c’est du compliment !). Côté récit, difficile d’évaluer la part de fiction dans cette analyse critique de soi… Mais on a envie d’y croire, tant le personnage semble sincère et la narration empathique. Avec une impudeur parfois culottée, Wazem se met à nu et joue subtilement la mise en abyme du bouquin dans le bouquin, qu’il qualifie lui-même de « sorte d’autobiographie mélancolique autocritique, auto-apitoyée, auto-flagellante, un genre de salon de l’auto ». Faut-il y voir une crise de la quarantaine ? En tout cas, c’est assurément une autre façon de parler du métier d’auteur de bande dessinée et surtout des angoisses face au processus créatif. Pour survivre dans le domaine, il faut allier essence philosophique et rendement lucratif, une problématique qui pose évidemment des soucis à plus d’un artiste. Le symbolique voyage aller-retour vers mars est astucieux et permet à Wazem de satisfaire la part d’onirisme qui accompagne chacune de ses œuvres. Une bonne surprise, qui a des chances de faire parler d’elle…