L'histoire :
Comme tous les artistes de one-man-show, son métier est de faire rire le public. Mais actuellement, entre ses soirées de représentations, il va au chevet de sa vieille maman à l’hôpital. Celle-ci reste désormais immobile, somnolente, elle peut mourir à chaque instant. Il ne sait même pas si elle l’entend lorsqu’il lui parle, car elle ne lui répond pas. Une infirmière lui donne l’astuce : il faut parler très fort car elle est sourde. Il donne régulièrement des nouvelles à sa compagne, par téléphone interposé. Il lui raconte les rêves étranges qu’il faits et qui l’interrogent sur l’existence. Il lui parle de ce petit garçon, lui-même jeune, insouciant, optimiste et donneur de leçons, qu’il revoit vivre jadis dans une toute autre relation avec sa mère. Il ne dit pas que ce petit garçon l’accompagne désormais en permanence, pour lui renvoyer une image perdue de lui-même. Entre autre tourment, il y a celui de sa stérilité, qu’il a récemment apprise. Ça n’est pas très grave, il y a déjà tant de gosses dans le monde. Et pourtant, l’homme primitif qui est tapi au fond de lui, cet homme qui est à son origine et qui a réussi à se produire depuis la nuit des temps, pousse un cri de terreur. Et puis il y a ces astronautes, en perdition à la surface d'une planète hostile...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le passé, le présent, le futur, pour saisir l’essence de la vie. Que doit-on ressentir quand on accompagne vers la mort celle qui nous a donné la vie ? Quel sens cela a-t-il de donner la vie ; et a contrario d’être incapable de la donner ? La sélection naturelle, l’équilibre entre le bien et le mal, ne sont-ils pas remis en cause lorsqu’on sait qu’un monstre comme Goebbels a pu se reproduire en ayant 6 enfants ? Et sinon, faire rire est-il l’ultime politesse que l’on peut offrir à nos contemporains ? Peut-on, doit-on encore faire rire dans les pires moments ? Qu’est-ce qui constitue le moment présent ? Comment le distinguer de nos souvenirs ? Que ressent-on lorsque son plus proche compagnon est soudain décapité ? Que de questions que nous pose là Gipi, en un récit patchwork qui entremêle le moment tragique d’un homme et le sens de la destinée de l’Homme. Il y a ce fantôme de lui-même enfant, qui lui renvoie une image altérée de son passé. Encore plus lointain, il y a cet homme des cavernes qui se bat pour survivre et transmet cette lutte aux générations futures. Un moment crucial pour une telle question de génération et de transmission, à un moment où le personnage central, sans aucun doute alter-ego de l’auteur, apprend sa propre stérilité et accompagne sa mère vers la mort. De quelle manière se définit-on par ses souvenirs ? Car il y a aussi ces astronautes en perdition à la surface d’une planète inconnue, qui disparaissent parfois dans des tourbillons noirs reformatant sans cesse leur mémoire récente… Et si c’était cela, notre condition humaine : être condamné à revivre sans cesse la même angoisse de perdition, ignorant les itérations infinies de nos renaissances en cascade ? Et puis la question de fond n’est-elle pas aussi la légèreté essentielle du rire, face à la gravité inéluctable de la mort ? Outch… c’est dense, c’est légèrement fouillis, mais c’est quand même une baffe. Assurément, ces séquences s’entremêlent de manière parfois hermétique, mais elles transpirent des intimes questions existentielles de l’auteur. Gipi se livre avec un regard extérieur d’une honnêteté froide et corrosive sur lui-même et sur la condition humaine. Si Freud était vivant et vulgaire, il trouverait que l’auteur italien met littéralement ses couilles sur la table. Visuellement, Gipi alterne parfaitement les techniques et les styles, afin de toujours bien définir les séquences. Cela va du lavis imbibé d’eau, assez réaliste, au dessin un peu rough en strict noir et blanc. On peine parfois à tout comprendre, mais assurément on ressort bouleversé de ce roman graphique d’une perspicacité et d’une sincérité folles.