L'histoire :
Alain Bujak se souvient bien des voyages en train de son enfance, à bord souvent de tortillards qui faisaient généralement des dizaines d’arrêts avant d’arriver à destination. Ils marquaient le début de l’été et représentent donc un souvenir agréable. Il y avait des couloirs le long de compartiments, dans lesquels régnait une odeur de vieux skis. Il regardait défiler des paysages extraordinaires par la fenêtre et le voyage se conformait à une certaine lenteur, qui lui convenait bien… Des photos en noir et blanc du terroir français étaient encadrées au-dessus des banquettes et cela lui donnait encore plus envie de voyager. Ces trains ont progressivement été remplacés à partir de 1975 par des trains Corail. Plus rapides, plus efficaces. Le voyageur se souvient aussi de l’expérimentation de la ligne « aérotrain » et de ses 18 km de voie à 5 mètres au-dessus des champs entre Orléans et Artenay. Le projet imaginé et porté par un certain Jean Bertin avait été abandonné au profit du TGV. Mais surtout, une petite ligne attire l’attention de Bujak : la ligne Béziers-Neussargues, qui remonte l’Hérault, l’Aveyron, la Lozère, jusqu’au Cantal. Plus de 250 km de voie ferrée qui désenclavent une cinquantaine de gares, et pour le maintien desquels les responsables locaux se battent depuis des années…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cet étonnant album publié par Futuropolis se situe quelque part entre la BD reportage et l’hommage biographique mais… focalisant sur un tracé rural de ligne SNCF : la ligne Béziers-Neussargues. Le scénariste et photographe Alain Bujak se met en scène, lui et sa madeleine de Proust : les voyages ferroviaires de son enfance. Dans les années 70, avant que le réseau SNCF ne perde de milliers de kilomètres de petites voies secondaires, les tortillards désenclavaient les territoires ruraux et éclusaient des dizaines de petites gares avant d’arriver à destination. Des usagers, des cheminots et des élus locaux d’Occitanie et du Massif central se sont alors « battus » pour que cette ligne ferroviaire – classée parmi les 10 plus belles d’Europe par The Guardian – soit maintenue… Et aujourd’hui, elle a été remise en état et re-fonctionne. Bujak raconte son expérience et ses témoignages (dont celui de l’ancien ministre communiste Claude Gayssot), autour de l’idée sociale, écologique et de service public de ces petites lignes qui ont été progressivement abandonnées sur l’autel de la rentabilité économique et de la vitesse. Evidemment, c’est un véritable plaidoyer en faveur du patrimoine ferroviaire. Il est dessiné par Elliot Royer, jeune auteur pour qui il s’agit de la première bande dessinée. Ce dernier a visiblement lui aussi pris le temps de dessiner cet album (4 ans !) en se rendant in situ aux endroits indiqués par son scénariste. Il y a des chances que les lecteurs qui vont emprunter la voie de ce Silence sur le quai soient aussi nombreux que les usagers de la ligne de chemin de fer Neussargues-Béziers… mais le propos central de cette BD-reportage est louable à l’heure des cruciaux enjeux écologiques qui s’imposent.