L'histoire :
Ulysse Nobody, acteur de one-man-show vieillissant, bénéficie régulièrement d’une heure d’antenne sur une radio locale, sur le créneau de 23h. En cette veille de Noël, il arrive in extremis dans les studios et s’installe au micro sans prendre le temps de retirer son chapeau. Avec son regard abattu, il se sert un verre de vin blanc et débute son émission dédiée aux contes de Noël, intitulée « Noël triste ». Il enchaîne alors les anecdotes totalement déprimantes, de manière gratuite… et il en chiale même à l’antenne. Entendant cela en plein réveillon familial, la directrice de la radio accourt au studio. Elle fait jeter Ulysse à la rue, au sens propre, par l’homme de sécurité. Ulysse est viré. Cela semble à peine l’affecter, ça entre en concordance avec sa déprime de fond, « Noël triste ». Il rejoint ses copains d’infortune au bar l’Espérance. Ensemble, ils fêtent ce licenciement dans l’alcool et prennent de bonnes résolutions pour l’année à venir. Dès le lendemain, Ulysse écrit une lettre d’excuse sincère à la directrice de Radio+. Mais la lettre lui est retournée quelques jours plus tard, sans même avoir été ouverte. Alors Ulysse tente de réactiver son ancien réseau. Hélas, les théâtres où il se produisait jadis ont fermé, ou bien ils ont bouclé leur programmation depuis longtemps. Son agent artistique lui oppose la même fin de non-recevoir : elle n’a strictement rien à lui proposer. Ulysse accepte alors un job minable sur une plateforme téléphonique. Mais dès les premiers contacts en ligne, c’est une catastrophe : à vouloir forcer son « talent » d’acteur, Ulysse raconte n’importe quoi aux clients. Il est viré. Bref, Ulysse est dans la merde jusqu’au cou… jusqu’à ce qu’il rencontre un ancien ami qui s’est lancé dans la politique…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ulysse Nobody est une histoire exquise de pathos et riche de prise de conscience politique. C’est l’histoire d’un homme dépossédé de sa vie, qui veut redevenir quelqu’un en se réalisant au travers d’un engagement extrême. Initialement, cet acteur has been reproche à son entourage d’être passé à côté de sa carrière. Ainsi embué par le manque de lucidité sur son existence, il accepte de devenir candidat pour un parti d’extrême droite (qui n’existe pas), le PFF (pour Parti Fasciste Français). Pourtant, à la base, il n’est pas fasciste, il est surtout désorienté. Mais son bagou, sa rondeur et la bonhomie que lui accorde le dessin simple de Sébastien Gnaedig sont utiles au populisme… et on lui affirme qu’il suffit d’incarner le fasciste pour l’être. Alors, puisqu’il est acteur, et qu’il a besoin de décrocher un rôle pour « être quelqu’un », comme il l’écrit sur son papier de bonne résolution, il accepte sans ciller de devenir fasciste. Ce destin pathétique est d’autant plus amer qu’il se présente à nous à la veille des élections présidentielles françaises, alors même que nous assistons à un décentrage du climat politique vers un néo-fascisme qui ne dit pas son nom. « Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution par temps de crise » (Bertold Brecht). Ulysse Nobody incarne ainsi la perte collective de repères qui bénéficie aujourd’hui dans les sondages aux candidats extrémistes. Or cette histoire n’est pas si fictive pour les lecteurs qui ont suivi la vie politique ces dernières années. Ce parcours est en effet extrêmement proche de celui de Franck de Lapersonne (même dans le patronyme improbable !), un comédien qui s’est avili en faisant la campagne présidentielle pour Marine Le Pen, jusqu’à devenir candidat perdant du FN aux législatives de 2017. Une démarche suicidaire qui l’amène aujourd’hui à être durablement isolé par son milieu professionnel et dénué de valeurs politiques crédibles.