L'histoire :
Janvier 1972, après une folle course-poursuite nocturne, Daniel est arrêté par la police. Ramené au poste de police, le jeune homme va prendre cher... pour vol de voiture, refus d'obtempérer, délit de fuite, mise en danger de la vie d'autrui. Il risque dans les 3 ans de prison. Face à la sanction probable, il demande à ouvrir des négociations avec les policiers. Il a un biscuit à leur donner... Dès 6 heures du matin, la police sonne au domicile de Madame Michèle Chevalier. Sous les yeux médusés de ses 3 filles, elle voit la perquisition se dérouler devant elle. Ils fouillent partout. Tout y passe : les étagères, les placards, les dessous de canapés. Dans un tiroir, ils découvrent des aiguilles à tricoter... Michèle Chevalier rétorque qu'elle se sert de tout cela pour faire du tricot. Les policiers ne sont pas convaincus par ses allégations et continuent leurs investigations dans son appartement. La découverte d'une nouvelle aiguille à tricoter finit de leur donner raison de l'entendre avec sa plus grande fille Marie-Claire. Sur le palier, la voisine propose de garder ses autres enfants, le temps qu'elle puisse répondre aux différentes questions... Très vite, elles passent aux aveux. Michèle a aidé sa fille à avorter. C'est le début d'une affaire judiciaire qui va avoir des répercussions notables dans la société française.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans un passé pas si lointain, avorter en France était un délit pénal, passible d'une peine d'emprisonnement et d'une forte amende : jusqu' 3 ans de prison et 100 00 francs d'amende. Bienvenue en 1972. Replaçons-nous dans le contexte de cette date. Cela fait à peine 28 ans que les femmes peuvent voter (1944) et seulement 7 ans que les femmes peuvent travailler et ouvrir un compte bancaire sans l'accord de leur mari (1965) ! L'affaire Chevalier que seuls les plus de 60 ans peuvent connaître ou les experts en droit, avocats, notaires, juges et consorts... est l'une de ces affaires-clés de l'histoire de la justice française au même titre que les affaires Dreyfus, Landru, Petiot, Ranucci, Patrick Henry, Le petit Grégory, Klaus Barbie, Maurice Papon, Charlie Hebdo, les attentats du 15 novembre 2015... L'affaire Chevallier arrive dans les années 70 à une période où la société évolue à grande vitesse. Les femmes donnent de la voix et s'émancipe du joug paternaliste. Nous sommes à l'aube de grands changements, et tant mieux ! Cette affaire dépassent le simple cadre juridique et sera à l'origine d'une loi fondamentale. Pour avorter en 1972, les femmes devaient partir à l'étranger (seules les plus riches pouvaient se l'offrir), sinon, il fallait faire appel aux fameuses « faiseuses d'anges » (replongez-vous dans l'excellent film de Mike Leigh, Vera Drake) et payer un lourd tribut pour y parvenir. Carole Maurel au dessin et Marie Bardiaux-Vaïente, au scénario, s'emparent à bras le corps du procès de Bobigny, en mettant en scène toute la puissance émotionnelle et le désarroi des accusés. Mais heureusement, Maître Gisèle Halimi pose ses ovaires sur la table et montre toute sa fougue et sa détermination pour les défendre, aidée par des femmes à fortes personnalités. Saluons ici la justesse du scénario posé sans aucun prosélytisme ou voyeurisme, avec justesse et dignité, nous faisant entrer dans l'intimité des femmes et de leurs souffrances. Le dessin enlevé de Carole Maurel va l'essentiel capturant l'émotion du moment et offrant toute sa sensibilité dans un trait captivant. Bobigny 1972 mérite de passer entre toutes les mains pour éviter que le conservatisme, tapi dans l'ombre et gagnant du terrain, ne terrasse une valeur essentielle, la liberté pour chacune de pouvoir disposer de son corps. Terminons par cette phrase de Simone de Beauvoir qui alerte tout un chacun sur la montée de l'obscurantisme à l'égard des femmes « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant ».
