L'histoire :
Dans un avenir post apocalyptique littéralement infernal… Deux hommes et une femme déambulent péniblement à travers un marécage noir et des terres désolées. Barbe blanche, Ikar est le frère de Graham, plus jeune, et Maé son épouse. Leurs souffrances sont terribles et se lisent sur les stigmates de leurs corps. Ils ne peuvent les soulager, temporairement, qu’en cédant à des excès de violence. Ainsi, Ikar se laisse t-il tabasser sans ménagement par son frère, qui souffre le martyr. Aussitôt, les cicatrices de Graham se résorbent, sa psyché se calme. En revanche Ikar a désormais le visage tuméfié, ensanglanté, méconnaissable. Ils poursuivent leur marche de gueux, en tirant Maé à l’aide d’une courte corde. Ils rencontrent une femme dans le même état qu’eux. Ouf, ils ont craint que ça soit un « oublié ». La femme les accuse d’être membres de la tribu des fils de Sad. Elle veut qu’ils lui rendent son fils. Enragée, elle plante une lame profondément dans l’épaule de Graham. Ikar et Graham lui rendent au centuple sa violence et la rouent de coups, l’abandonnant pour morte. Quelques minutes plus tard, Ikar retire la lame de l’épaule de Graham, malgré la cicatrisation déjà effective… et sans que cela ne fasse d’autre dégât qu’une boursouflure de plus. Ils continuent leur route pendant des jours, se violentant, s’abîmant, vomissant, cauchemardant, vers une quête improbable : on dit qu’il persiste quelque part une terre fertile, où il est possible d’enfin mourir…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Pour sa première BD publiée en France, Kim Gérard (aussi connu sous le nom d’illustrateur de Kim Roselier) revisite pas mal de codes de genres et sort la machine à baffes. Il mélange en effet le survivalisme post-apo, le mythe du zombie, l’univers gothique morbide, L’enfer de Dante, les délires organiques d’Akira et le registre du seinen et de la baston en général, le tout au sein d’une narration qui ne se pose pas de question et ne nous prend pas par la main. Sans préalable, le lecteur débarque en effet dans un territoire on ne peut plus hostile, aux côtés d’un trio on ne peut plus désespéré. On mettra une bonne centaine de pages pour comprendre que Graham, Ikar et Maé sont condamnés à une immortalité éternelle de souffrances infinies. Or le problème, c’est que leur organisme et leur moral s’abiment progressivement et irrémédiablement. Leur but, donc, c’est de trouver l’unique endroit mythique où il est possible de mourir – enfin ! – pour se délivrer de la torture de vivre. Ça se lit vite, malgré la forte pagination (328 pages), en raison d’une grande économie de dialogues. Il en ressort une sorte de poésie morbide, d’une extrême violence récurrente (se tabasser à mort les soulage) qui finit par être très répétitive. Ils frappent tellement vite et puissamment, quand ils se castagnent, qu’on ne comprend pas toujours les coups, les zones d’impact, les viscères qui giclent… Ça fait Pawk, Bam, Rahhhr, Vlam, dans un décor digne du Mordor, avec de grosses onomatopées et des lignes de fuite. Ils ne causent pas trop, ils se tapent dessus de plus en plus sauvagement, leurs ennemis ont été maquillés chez Mad Max, leur réel espoir de mort est pour le moins biscornu… et il manque d’explication. On peut certes considérer que cette histoire est une métaphore de la déchéance inéluctable de notre monde. Et ça ne fait pas rêver.