L'histoire :
Un matin de novembre 1972, Roger Bontemps est guillottiné. Robert Badinter n'a pas eu le courage d'accompagner son client à l'exécution. Impliqué dans une évasion de prison qui s'était terminé par des meurtres, Bontemps ne tenait pas l'arme du crime. Mais les jurés n'ont pas différencié les deux complices, et la sentence s'abat sur les deux hommes sans distinction. Le président Pompidou a reçu les avocats qui venaient lui demander sa grâce, mais il ne les a pas écoutés. L'opinion publique a obtenu la sanction qu'elle attendait dans sa majorité. Quelques années plus tard, c'est le meurtre atroce de Philippe Bertrand qui scandalise l'opinion, jusqu'à un présentateur du journal de vingt heures qui déclare que « La France a peur ». Une nouvelle fois, l'opinion se déchaîne sur un suspect et réclame son exécution. Robert Badinter fait à nouveau partie des avocats de la défense, mais cette fois c'est contre la peine de mort qu'il plaide. Une séquence historique qui débouchera sur une peine de prison à perpétuité pour Patrick Henry. Le parcours de l'avocat débute alors vers un destin national, qui transformera la France lorsque le président nouvellement élu en 1981 le nommera au poste de ministre. Avec l'objectif, très vite et sans hésiter, de proposer l'abolition de la peine de mort. Fort de ses convictions, brillant orateur, fils de déportés juifs qui ont perdu la vie dans les camps, Badinter réussira à emporter ce combat, au-delà de la majorité politique du moment.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le retour sur l'expérience politique qui a conduit à l'Abolition de la peine de mort est intéressant sous plusieurs aspects. Il montre comment un candidat à la présidence de la république a été très clair, malgré la réticence de l'opinion, sur ses intentions une fois qu'il serait peut-être élu. Elu malgré cela, il a profité des premiers mois de son mandat pour passer à l'acte en nommant Robert Badinter au poste de garde des sceaux. Il explique aussi le parcours très courageux d'un avocat qui a défendu les causes les plus difficiles sous un angle purement éthique, mettant l'inhumanité de la peine de mort au cœur de ses plaidoiries, même dans des dossiers éminemment révoltants. C'est ce parcours de Badinter qui ressort de ce livre, très bien séquencé autour du futur ministre, rappelant sans détour des affaires sordides qui avaient choqué l'opinion dans les années 70. La scénariste Marie Gloris Bardiaux-Vaïente choisit très vite son angle narratif et s'y tient. Ce qui donne un récit parfaitement adapté au format de la bande dessinée. On sait ce qui va se passer à la fin, on sait que l'abolition va être votée par l'assemblée, mais elle nous sensibilise brillamment au courage intellectuel qui a conduit à cette décision. Malo Kerfriden est un brillant bras armé, qui met en scène de manière presque clinique et très efficace les hommes qui ont marqué ce moment de l'Histoire. Il y a peu de bons sentiments dans ses pages, juste la force de cases bi-chromiques simples et fortes. Le retour en arrière sur la famille Badinter est approprié sans être larmoyant, on a l'impression de comprendre à la fois la démarche de l'homme et ce qui l'a construit. On ne peut s'empêcher de songer au courage politique de ce ministre et de son président, se demandant en creux si l'époque actuelle aurait des équivalents. On termine la lecture éclairés de cette épopée qui aura pris plusieurs années, une histoire politique vertueuse à plus d'un titre. Une leçon sur la capacité des hommes à changer le cours de l'Histoire.