L'histoire :
La jeune Gweny trouve une bouteille à la mer. Dans celle-ci, une carte indiquant le chemin pour se rendre sur l’île aux 100 000 morts, laquelle renfermerait un trésor légendaire. En fait, Gweny se fiche bien de cette monnaie. Ce qui motive sa quête, c’est retrouver son père, parti il y a 5 ans pour cette île. Son but : trouver ce trésor et assurer à sa famille une vie heureuse. Gweny entretient par ailleurs des relations pour le moins tendues avec sa mère. Les deux personnages semblent se vouer une haine farouche et réciproque. Raison pour laquelle la mère, en pleine nuit, essaie de tuer sa fille. Mais Gweny évite le stratagème, et tue sa mère à l’aide d’une poêle ! Désormais libre, elle part à la rencontre de pirates pour l’aider dans sa quête. Elle n’a pas de bateau, et ses connaissances en matière de navigation sont insuffisantes. En échange de leur aide et du partage des richesses, les pirates acceptent le marché. Les voilà partis en pleine mer. Au bout de quelque temps, l’île aux 100 000 morts, celle dont on ne revient jamais, est en vue. Moment choisi par Gweny, accompagnée d’un nouvel ami, pour faire faux bond à ses passagers qu’elle soupçonne de manœuvres machiavéliques. Début des aventures doucement ironiques, cruelles et absurdes de ces figurants anthropomorphes…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A l’image des pièces de théâtre de Samuel Beckett (En attendant Godot, notamment), l’absurde traverse la BD de Fabien Vehlmann et Jason. Dans un contexte onirique mâtiné de cruauté gratuite, on suit les pérégrinations tour à tour insolites, loufoques ou cocasses, d’animaux anthropomorphes au regard creux et en proie à la solitude. Ce qui amuse dans L’île aux 100 000 morts, c’est ce constant décalage entre la gravité des situations (une école de bourreaux qui, en guise d’enseignement, apprend à tuer et torturer !) et le non-sens comique qui s’en dégage. Prétexte à une variation sur le thème de l’humanisme, le scénario montre des animaux anthropomorphes habités par l’appât du gain, la mélancolie, mais aussi sans morale et souffrant de l’absence de l’autre. C’est sobre et efficace. Sur le plan formel, la mise en scène théâtrale parfaitement cadencée, conjuguée à un graphisme minimaliste idoine, s’adapte habilement à la tonalité austère de l’histoire. Quelques couleurs chaudes aussi, un dessin faussement naïf, ajoutés à une succession de scènes cocasses où la violence est routinière et l’horreur banale, font de cette BD un exercice plutôt réussi. Deux bémols cependant : la BD se lit très vite (les personnages sont effleurés) et surtout, on a le sentiment que l’éléphant accouche d’une souris avec une fin attendue, quelconque, et assez décevante. En tout cas, pas à la hauteur de l’ensemble, d’autant plus que Vehlmann ne cesse de brouiller les pistes et déploie des trésors d’imagination pour nous égarer. On comprend au final que l’intérêt de l’histoire ne réside pas dans l’accomplissement d’une quête, mais bien dans l’expérience de la quête elle-même. Fable morale à l’humour noir réjouissant, L’île aux 100 000 morts nous amuse et nous fait réfléchir. Une parabole intéressante sur l’absurdité de l’existence.