L'histoire :
Dans un monastère autrichien sur les bords du Danube, Umberto Eco trouve un manuscrit du Moyen-Âge écrit par un moine bénédictin appelé Adso de Melk, dont il avait trace dans un livre d’un certain abbé Vallet. Il se lance dans la traduction des aventures du moine. Mais dans le chaos de l’invasion soviétique de Prague, il se fait voler le manuscrit. Lui reste sa traduction. Deux ans plus tard, en Argentine, il tombe par hasard sur la même histoire, racontée en marge d’une traduction de l’utilisation des miroirs dans le jeu des échecs par le père Athanasius Kirchner. « Par goût fabulateur », Eco se lance dans la transcription de cette histoire de livres racontée par Adso de Melk. En 1322, le jeune novice bénédictin se retrouve placé auprès d’un docte franciscain, ancien inquisiteur, Guillaume de Baskerville. Dans un contexte de crise religieuse et politique, ils arrivent dans une imposante abbaye bénédictine des Alpes maritimes, sous la neige, tout en haut d’un éperon rocheux. La communauté est en émoi après la mort d’un frère enlumineur, Adelme d’Otrante. Guillaume, connu pour son sens de la mesure et ses grandes qualités d’enquêteur, est prié par l’abbé de résoudre ce mystère, qui l’inquiète. Car seul un moine a pu commettre le crime…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après une biographie réussie du Caravage, voici que l’homme qui a élevé la bande dessinée érotique au rang d’art, Milo Manama, s’attaque à un autre monument. C’est l’un des romans ayant eu le plus de succès dans les années 80 que le grand maître du clair obscur adapte ici. Le Nom de la Rose, c’est un monument de la littérature, un chef d’œuvre. D’abord, le verbe est d’une précision chirurgicale. Eco est un des théoriciens reconnus de la linguistique et de la sémiotique, qui est l’étude des signes. Son roman est une ode au livre, bien entendu, mais pas seulement. Il s’agit de maîtriser tous les signes qui peuvent faire communication, dont le dessin des enlumineurs, véritables stars du Moyen-Âge, qui sont en quelque sorte les ancêtres de nos auteurs de BD. L’intrigue est prenante, inquiétante. Une histoire de meurtres en huis-clos, dans le décor sombre d’une abbaye gigantesque, perdue dans une montagne. Mais le contexte est important aussi. On parle de la place du livre au Moyen-Âge, des croyances et craintes, des inquisiteurs et du plus célèbres d’entre eux, le terrifiant Bernardo Gui. Le moment est charnière. L’empereur Louis de Bavière, après une crise d’élection, avait battu son rival, Frédéric d’Autriche. Le pape Jean XXII l’excommunia et Louis se servit alors des moines franciscains comme alliés, eux qui proclamaient comme vérité de foi la pauvreté du Christ, s’opposant au pape riche et corrompu… Si le décor est aussi précisément trempé, c’est qu’Eco n’est pas un romancier ordinaire. C’est un universitaire, notamment spécialiste du Moyen-Âge. Le lecteur baigne alors dans une sombre période, éclairée seulement par quelques personnes, dont le très contemporain Guillaume de Baskerville, le héros, sorte de Sherlock Holmes en haillons (les franciscains faisaient vœu de pauvreté). Le narrateur, novice naïf et impressionnable, raconte avec des yeux émerveillés cette enquête pas ordinaire. Comme pour toute adaptation, Manama a marché sur des œufs et a (religieusement, pourrait-on dire), gardé beaucoup de textes et de dialogues. Il s’est toutefois gardé de belles pages muettes, monumentales, impressionnantes de précision et de beauté. Ses personnages sont vivants et expressifs, notamment son Guillaume de Baskerville à qui il a donné les traits de Marlon Brando jeune. C’est une belle réussite, tant au point de vue pictural que de l’adaptation. Le 2ème tome sera attendu avec impatience !