L'histoire :
Owen Brady est un photographe missionné par le Comité National contre le Travail des Enfants. Il doit saisir en images la situation de milliers de garçons et de filles, obligés de travailler dès le plus jeune âge. En effet, dans cette Amérique en pleine expansion industrielle, les grands patrons n'hésitent pas à employer dans leur usines des enfants de moins de 14 ans, l'âge minimum légal, en théorie. Le protocole d'Owen est chaque jour le même. Il entre au sein des immenses ateliers en se faisant passer pour un journaliste œuvrant pour la gloire de la révolution productiviste et, une fois sur place, il saisit les clichés des plus jeunes travailleurs. Il documente leur âge, leur travail, leurs histoires parfois, constituant un terrible plaidoyer qui doit servir à faire réagir le législateur. Chaque soir, il retrouve son hôtel et très souvent une des prostituées de la ville où il s'est arrêté. Owen ne vit pas bien son expérience. Il se rend compte que son attitude méprisante avec ces filles d'un soir ne mérite aucun respect, pas plus que le comportement des patrons d'industrie qu'il dénonce. Son besoin d'alcool est permanent, ses accès de violence en pleine rue stupéfient les passants. Alors Owen va tenter de se confier à Tom Ewans, le commanditaire de cette mission. Et Tom va écouter tout ce qu'Owen a besoin d'exprimer...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans ce bel album au format à l'italienne, Marc Malès donne un nouvel aperçu de son talent graphique. Sur des tons sépia et un graphisme très classique, il décrit la longue expérience d'un photographe qui affronte la dureté de la société américaine des débuts du XXème siècle et la noire introspection d'un homme sur lui-même. Le parti-pris graphique est indissociable du propos du scénariste, tant la mise en page appuie parfois de manière très forte les émotions du personnage. De grands aplats presque noirs, des cases soudain épurées, le visage angélique d'une ancienne prostituée, les effets visuels marquants et touchants sont subtilement dosés tout au long de ces presque 150 pages. Malès y déroule un style renouvelé, affiné d'une certaine manière, très à l'aise dans ces planches horizontales qui se rejoignent parfois. On devine que les récits d'enfance maltraitée, les traumatismes qui perdurent et hantent les adultes qu'ils deviennent, sont des thèmes authentiquement chers à l'auteur. Cet album est sincère et profond, parfois un peu âpre dans sa froideur sans concession. La narration en voix off rend évidemment plus personnelle l'expérience d'Owen, tandis que l'album évolue progressivement vers ce recul sur lui-même que le personnage prend avec l'expérience. Un album atypique, dur et parfois touchant, avec un drôle de titre qui devrait au minimum attirer l’œil. Les belles planches sépia de Malès devraient faire le reste.