L'histoire :
Le 16 juillet 1918, craignant un coup des gardes blancs pour libérer le Tsar, deux commissaires soviétiques évacuent la famille Romanov d'Ekaterinbourg, où elle est détenue. Le tsar, la tsarine, leurs 4 filles, leur fils handicapé et leur chien, se laissent donc balloter, au gré des ordres des tchékistes, pour un énième changement de résidence. Une dizaine de jours plus tard, les gardes blancs, commandés par le capitaine Sacha Kalitzine, pénètrent dans Ekaterinbourg. Dans une pièce d'habitation, ce dernier découvre une scène d'exécution qui laisse à penser à l'assassinat des Romanov. Fidèle à son tsar, Kalitzine est d'autant plus peiné qu'on lui prêtait un flirt avec la petite Anastasia. Il ignore alors qu'au même moment, le train d'une autre de ses connaissances, la célèbre cantatrice Nadia Pleviskaïa, follement amoureuse de lui, est détourné vers Ekaterinbourg. En cette ville tourmentée par la guerre, la belle cantatrice, frondeuse et tsariste également, fait tourner la tête de bien des officiers. Tandis qu'elle et son amant Kalitzine finissent inévitablement au lit, ce dernier apprend l'emplacement des corps des Romanov, recouverts d'acide. Dès lors désillusionné, presque suicidaire, l'officier se jouera de l'amour et de la mort. La contre-révolution blanche se marginalisant, il prend le « maquis », en des contrées enneigées et balayées par des vents glacés...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
AvecNuit blanche, le souffle de la grande saga historique transcontinentale vous emportera des steppes de Russie à Paris, en passant par Vladivostok et Shanghai. Orchestré par Yann, véritable ponte du 9e art, le ton romanesque du récit s'accorde à merveille aux contingences militaires et historiques. Comme toujours, Yann sert des dialogues savoureux et joue avec la symbolique en une mécanique savamment huilée : garde blanche, garde rouge, neige et sang, amour et mort intimement mêlés... Le premier chapitre (tome 1 : Le rossignol de Koursk) flirte avec l'ambiance tragique et romantique des auteurs russes comme Tolstoï ou Dostoïevski. Dans les chapitres suivant, tandis que s'effritent les fastes de la Russie tsariste, on suit Kalitzine – le véritable héros de la saga, contrairement à ce que laisse penser Nadia en couverture – à travers les années, s'étonnant presque de sa survie. Cet insaisissable personnage connait une forme de déchéance, presque mort, dans la steppe de l'Oural, au chapitre 2 (Agafia). Il ressuscite au chapitre 3, à Vladivostok, sur fond de cabaret des années 20. Puis on le retrouve au chapitre 4 au service des services secrets français, à Shangai, où il croise notamment la route d'Albert Londres. Enfin, il est chauffeur de taxi à Paris, en 1937, lors d'un cinquième chapitre épilogue empli de nostalgie (Les spectres du Tsar). Le dessin réaliste d'Olivier Neuray, limpide et distingué, flirte avec la ligne claire franco-belge et rappelle un peu le style d'Hugues Labiano ou d'un certain Philippe Berthet (dessinateur fidèle à Yann : Pin-Up, Yoni, Poison Ivy). Cette extrême clarté graphique accorde beaucoup de plaisir à la lecture, trouve toujours l'ambiance exquise, et contrebalance avec la narration plus complexe – ou dirons-nous plutôt « exigeante » – de Yann. En véritable érudit, le scénariste jongle avec les références historiques et les symboles, dont la plupart nous échappent, à moins d'être rudement bien rencardé sur les acteurs et anecdotes de la période. Mais le véritable défaut de cette intégrale est surtout son petit format, qui n'est guère à la mesure de la grandeur de l'oeuvre originale, en 5 tomes. Nazdorovié !