L'histoire :
Bolita est un nom péjoratif pour « petite boule », définissant certaines femmes boliviennes. C'est aussi le surnom de Rosmery, petite nénette au charme certain, mais effectivement un peu boulotte, vivant chez sa tante, de ménages dans de riches propriétés. Plutôt curieuse, et téméraire, elle va enquêter sur ce jeune couple de « frère et sœur » pour lesquels elle vient d’accepter un nouveau contrat. Il se trouve que ces jumeaux aryens ont un passé en lien avec Mengele, le nazi eugéniste. Aussi, le terrain est-il un peu miné. Son ami obsédé Tocco, travaillant pour la police, pourra-t-il l'aider, et va-t-elle sortir indemne de son fouinage ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Profitant de la renaissance en 2006 de la revue mythique argentine des années soixante Fierro, Carlos Trillo crée cette histoire de Rosmery Ajata à partir du numéro 50, afin de pouvoir collaborer une nouvelle fois avec son collègue et ami de toujours. L'occasion est trop belle et ces deux compères, responsables des séries mythiques Je suis un Vampire, Fulù et Chicanos, vont pouvoir à nouveau faire montre de leur immense talent. Tout d'abord, Trillo dépeint une Argentine de trafics, où l’humain est pratiquement considéré comme un produit. Telle notre héroïne frontalière, obligée d'émigrer afin de trouver un emploi. Dans ce quartier huppé où elle vient faire le ménage, elle n'est que la Bolita, la petite bolivienne qu'on ne regarde même pas. Et elle non plus, venant des villas (les bidonvilles), n'est pas sensée regarder. C'est sa curiosité exacerbée et sa culture – elle fréquente beaucoup la bibliothèque du quartier – qui lui tient lieu de repère, et d'indicateur, en plus de son amant vicieux, le flic de la Bonaerense (la police corrompue) pour ses petites enquêtes. Carlos Trillo dénonce la pauvreté, mais aussi les turpitudes et magouilles bien malsaines des riches propriétaires, en lien avec l'église et ce qu'il reste de la junte militaire. Tout cela avec un regard pointu mais plein d'empathie et de connaissance, car il sait de quoi il parle. Nombreux sont ses clins d’œil à la fois féministes, culturels, et humanistes, dans un contexte pourtant peu porté sur la poésie. Eduardo Risso nous interpelle efficacement avec ses aplats noir et blanc puissants, géométriques, à la fois hyper cadrés et libres, dont lui seul à la formule. On chercherait des défauts graphiques que l'on n'en trouverait pas. Ici, tout est juste, à sa place, tant au niveau du dessin que des dialogues, de l'intrigue, pas moralisatrice pour un sous, mais juste fascinante comme peut l'être l’araignée dans sa toile, au coin de l'escalier, que Rosmery ne peut s’empêcher de repérer, alors que tout s'agite autour d'elle. Un duo au top, encore une fois, mais ce sera la dernière, malheureusement. Un grand cru de la BD argentine, bienheureusement mis entre nos mains grâce aux éditions Ilatina. Un grand cru de la BD, tout court.