L'histoire :
Alan Ingram Cope a à peine « vécu » les violences de la seconde guerre mondiale. Soldat ordinaire arrivé tardivement sur le champ de bataille, en février 1945 à Dunkerque, soit huit mois après les premiers GI’s, il raconte comment il a été enrôlé par l’armée américaine et comment il en est venu à conduire des tanks et autres armoured cars, après avoir endossé l’uniforme de formateur radio. D’abord entrainé avant d’aller au combat, Alan ne sait pas exactement ce qu’il vient faire sur le sol européen, ayant débarqué là un peu par hasard : « Quand j'ai eu dix-huit ans, Uncle Sam m'a dit qu'il aimerait bien mettre un uniforme sur mon dos pour aller combattre un gars qui s'appelait Adolf. Ce que j'ai fait ». Plus qu’une source d’angoisse, la guerre se révèle pour lui une expérience à vivre, presque une aventure. Entre souvenirs fuyants, repas frugaux, découverte de la musique classique et rencontres amicales ou amoureuses, il narre son quotidien de soldat en retrait des combats : à un moment, au cours d’un entrainement, il doit se glisser dans un trou peu profond pour éviter le passage d’un tank ; ailleurs, lui et ses camarades jouent au gymkhana avec leur tank dans les ruelles d’une ville désertée. Ce seront là ses seules frayeurs…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L’Association réédite sous forme d'intégrale petit format l'une des œuvres phares de son catalogue, La Guerre d’Alan, publiée à l’origine en trois BD entre 2000 et 2008. Recueil de souvenirs, d’impression, de perceptions, fruit de longs entretiens enregistrés au magnétophone, Emmanuel Guibert y dépeint la vie d’un soldat américain ordinaire qui n’a pas « vécu » la violence de la Seconde Guerre mondiale. En retrait des combats, le lecteur suit pas à pas ses impressions et son expérience du front. Mais chez Guibert, c’est un réalisme dépourvu de tout héroïsme romantique qui prime, loin du spectacle et du sentimentalisme affecté des blockbusters américains. Quelques tirs au loin, des rencontres amicales ou non avec d’autres GI’s, des anecdotes ordinaires ou cocasses et l’absence de combats... Il ne se passe à vrai dire pas grand-chose dans le quotidien de Cope. Moins un récit de guerre qu’un travail sur la Mémoire et sa restitution, La Guerre d’Alan intéresse par ses parti-pris originaux : sa sobriété narrative, son ton distancié, sa précision, sa description en contrechamp d'une guerre fantasmée. Certains seront évidemment émus par la profonde humanité et la force évocatrice qui se dégage de l’existence banale d’Alan Cope. D’autres penseront que la BD pêche justement par excès de simplicité : très sobre et factuelle, trop peut-être, l’histoire en deviendrait presque plate et soporifique à la longue. A chacun de voir. Reste enfin le graphisme étudié et intelligent, à l’encre de Chine, oscillant entre réalisme photographique quasi-documentaire, abstraction expressionniste et illustration basique, mélange de styles lorgnant vers une ligne claire épurée habillée de noir et blanc. Tantôt des paysages calligraphiées, tantôt des personnages sur fond blanc aux contours épais. Le jeu sur les ombres et la maîtrise du clair-obscur finissant de matérialiser souvenirs et paysages ancrés dans le passé, les vivifiant pour leur offrir une seconde existence. Une BD marquante signée Guibert, en forme d’hommage à un témoin anonyme du XXème siècle qui deviendra son ami. A suivre dans L’Enfance d’Alan, à paraître en septembre 2012.