L'histoire :
Sibylla Schwarz, née le 14 février 1621 à Greifswald, dans le duché de Poméranie, est la benjamine d'une fratrie de sept enfants. Elle vit avec son père, conseiller ducal puis bourgmestre ; sa mère ayant succombé à la peste en 1630. La guerre de trente ans frappe Greifswald en 1626, d'abord avec l'arrivée des troupes bohémiennes (ancienne Tchéquie). Puis en 1631, lors de l'occupation suédoise. La famille trouve d'abord refuge dans son domaine de Frätow, puis dans deux autres communes après sa dévastation. C'est dans ces conditions que Sibylla se familiarise avec l'œuvre du grand poète de la réforme Martin Opitz, au moment où l'allemand a commencé à supplanter le latin dans la littérature. Avant de mourir précocement à l'âge de 17 ans de dysenterie, elle va composer une centaine de poèmes d'une grande puissance lyrique, témoignant d'une conscience de soi en tant que citoyenne, artiste et femme, peu commune.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Sibylla est un livre mémoire. Un « livre carte » ouvrant sur des possibles. Max Baitinger, déjà responsable d'un ouvrage traitant du Vahalla Viking (Heimdall, aux éditions Dédales, en 2017), mais aussi de l'étrange Rohner chez l'Employé du moi en 2021, nous entraîne à nouveau dans son labyrinthe graphique et expérimental. Le projet est une commande de l'association Les amis de Sibylla Schwarz, pour les 400 ans de la naissance de cette jeune poétesse. Il débute avec une mise en contexte surprenante. Celle-ci mêle interrogations, hypothèses et échanges avec l'association, le tout dans des ambiances graphiques surfant entre surréalisme et abstraction, d'où émergent régulièrement des figures humaines ainsi que de grandes cases de décors à l'atmosphère Vermeerienne. L'étrangeté qui nous prend à la gorge s'estompe au fur et à mesure, tant la force du propos et le désir de connaître mieux Sibylla s'imposent. L'introduction de l'élément perturbateur, par le biais des deux représentants/soldats suédois au sein du cocon familial emballe le récit, permettant à l'auteur de faire goûter, par le truchement de la propre plume de son personnage central, un panel de ses fameux poèmes. Alors, tout le sel de sa fibre artistique et féminine s'exprime, malgré le contexte de la vie violente dont elle est victime. Puis l'abstraction reprend le dessus, les traits tordus et dégoulinant de Max Baitinger nous orientent doucement vers la conclusion, faite de destruction et d'exode. Une œuvre rare, car chargée émotionnellement de deux cœurs qui battent, et d'où l'improbable élasticité du trait de l’auteur rentre en résonance avec la dureté du propos. Il y a comme une magie dans cet exercice avant-gardiste ne laissant pourtant rien au hasard. Un très bel hommage, en forme d’abîme poétique.