L'histoire :
Il prend le métro. Dans cette station bondée, il perçoit les relents de la mégapole japonaise, s’asphyxie de sa chaleur et s’y laisserait allégrement engloutir s’il le pouvait. Il ne discute pas. Il se laisse aller à quelques souvenirs : un phare, une plage et un homard à remettre à l’eau, pour que le crustacé vive pendant que lui surnage à peine… Il laisse les images de la télé l’envahir et se laisse apprivoiser par Tahei, cette marionnette que Yuki aimait tant. Depuis qu’elle est partie, la bestiole est devenue son ami, son conseiller. Que deviendrait-il si elle n’était pas là ? Il n’a pas toujours vécu comme ça. Avant Yuki, il y avait la mer, les embruns mais sans Yuki que lui reste t-il réellement ? Des cafés trop chauds, des bouillies gélatineuses, un cerveau qui ordonne et un corps qui agit. Impossible de revenir en arrière ou d’oublier : marionnette, homard ou fils d’antennes enchevêtrés rythment les circonvolutions de son esprit. Pas de retour possible : il faut donc trouver une sortie…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Déstabilisant à souhait, voire gênant et lentement asphyxiant, jusqu’à son épilogue en forme de bonbonne d’oxygène, le récit de Laurent Colonnier s’exerce à démonter les mécanismes du désespoir. Là où d’autres auraient mis le doigt dans l’engrenage de l’apitoiement larmoyant post traumatique, l’auteur préfère camper un héros démesurément froid et égocentrique, dont le mal-être ne trouvera pour refuge que la folie. Aussi, le récit nous emporte t-il dans les méandres d’un esprit torturé, coupé peu à peu du reste du monde et laissé à vif (d’où cette histoire du homard, pour évoquer le fameux complexe cher à Dolto), par l’absence de celle qui comptait plus que tout. Construite autour d’une narration dans laquelle les flashbacks cohabitent avec onirisme et ellipses subjectives, l’histoire nous perd rapidement : lieux, propos déstructurés, colorisation peu heureuse se jouent de notre logique en livrant le minimum de cohérence à notre esprit. Il nous faudra un épilogue salvateur pour retrouver dans chacune des propositions artistiques un sens souvent judicieux et apprécier l’angle choisi. Parfaitement rythmé, malgré les choix opérés et nous tirant sans difficulté vers le besoin de comprendre, on reprochera à l’album de faire l’économie d’émotions : l’absence de compassion voulue par l’auteur nous laisse la désagréable impression de rester indifférent au désespoir du héros. Un peu comme si, à mesure de lecture, à l’inverse du héros, nous nous étions forgé une carapace, pour que jamais cette aventure ne fasse écho à nos propres douleurs.