L'histoire :
Perché sur des fils électriques, un corbeau contemple de son œil noir le paysage : des fils électriques, des champs à perte de vue comme formidable garde-manger et au milieu, une route départementale jonchée de cadavres de hérissons ensanglantés, écrasés ou dévorés. Petit corbeau noir se souvient de Su-wan, jolie mainate qui avait rejoint sa meute avant de trépasser. Jour tragique, existence sombre depuis. Sauf que corbeau a perdu l’amour d’une vie, le seul, le vrai, et il se pourrait bien qu’il soit en partie responsable de ce malheur qu’il a lui-même organisé et initié. Rongé par la culpabilité et les regrets, corbeau se confesse et médite mais n’épargne personne : ni les hommes, ni lui-même, ni l’existence. La rédemption est-elle possible ? Entre ses errances quotidiennes et ses lamentations, il rencontrera aussi un truand blessé et traqué, un voisin revanchard et une très vieille dame esseulée dans sa caravane… sans oublier les carcasses de hérissons, mets essentiels d’un festin noir.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
D’abord paru en noir et blanc chez La Comédie illustrée en 2004, La Boite à bulle réédite Le Chant du Corbeau dans une version couleur. A la fois romance tragique, méditation douce-amère et réflexion existentielle, cette histoire animalière lorgnant vers la fable philosophique a toutes les chances de vous plomber le moral. Et pour cause : le récit est sans concession sur la nature humaine et sa visée morale est claire : égoïstes et seuls, aveuglés par l’ubris, les hommes sont inexorablement voués à la disparition, même si l’amour a un temps pointé le bout de son bec. Rythmée par des flashbacks et les états d’âme de l’anti-héros, la portée de la narration est enrichie par la confession d’un animal, le corbeau tout de noir vêtu incarnant les travers humains, symbole par excellence de la figure du mauvais augure, liée à la crainte du malheur. Comme le soulignent J. Chevalier et A. Gheerbrant, « c’est l’oiseau noir des romantiques, planant au-dessus des champs de bataille pour se repaître de la chair des cadavres ». Un champ de bataille que le corbeau de l’histoire, tel un ange de la mort, a lui-même organisé, raison de sa tentative de rachat, d’ailleurs vouée à l’échec. Cherche-t-il à expier sa faute, à se délivrer du poids de la culpabilité, à trouver son salut, à s'accepter ? Même pas, en fait. Car il n’y a rien à sauver. Cette vestale noire serait-elle un brin nihiliste ? Vous l’aurez compris, le ton est souvent sombre, teinté d’ironie mélancolique mais aussi de poésie, dans cette fable où la mort est omniprésente. Récit bref qui se lit assez rapidement, il aurait sans doute gagné à rester en noir et blanc pour coller à sa tonalité. Même si la colorisation, douce et lumineuse, est soignée. Équilibré et fluide bien qu'assez classique dans sa construction, fouillant et interrogeant les profondeurs de l’âme, voilà un chant du cygne en forme d’apologue désenchanté. Pas mal.