L'histoire :
Grzegorz Rosinski est né en Pologne en 1941, alors en pleine occupation allemande. En 1943, l’URSS libère la Pologne et y installe le communisme. Rosinski vit dans une petite ville industrielle, Stalowa Wola, qui signifie « volonté de fer » car les Polonais y ont combattu les troupes de Lénine qui voulaient envahir l’Europe dans les années 20. La ville est calme et le petit Grzegorz adore jouer dans la nature, particulièrement en forêt. Pourtant, la vie est rude et parfois même dangereuse. Il n’est pas rare que Grzegorz croise un cadavre sur la route ou une charrette qui transporte des morceaux de corps tuméfiés. Ces images terribles de la guerre le hanteront toute sa vie. Très jeune, il se passionne pour le dessin et possède pour lui un « trésor inestimable » : une bible illustrée par le graveur Gustave Doré. Son père lui-même aimait peindre et faisait des aquarelles dans ses rares moments de loisir. Il est aussi marqué par la publication du journal français de bande dessinée Vaillant (l’orientation du périodique étant pro-communiste, la Pologne a accepté sa diffusion dans le pays). Dans le journal, il est profondément attiré par le travail de Paul Gillon et le noir et blanc de Raymond Poïvet. Solitaire, Rosinski aime lire et s’enferme régulièrement dans un petit placard pour y trouver la tranquillité et s’évader par le livre ou le dessin. Il dessine également beaucoup à l’école et se fait souvent confisquer ses travaux par ses professeurs mécontents. Il entre ensuite à l’Académie des Beaux Arts de Varsovie, une école très exigeante et réputée, où il apprend tout des techniques de dessin et de peinture. Pourtant, il devra régulièrement se cacher car les professeurs n’apprécient pas son goût pour la bande dessinée. Ils le menacent même de l’exclure s’il continue à dessiner des strips…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En marge de la monographie de Raoul Cauvin, Patrick Gaumer s'intéresse à un autre maître de la bande dessinée : Grzegorz Rosinski, le fameux dessinateur de Thorgal. Le principe de ce luxueux et épais ouvrage est de diviser l’œuvre du maître en plusieurs parties, suivant les étapes de sa vie, en autant de chapitres s'appuyant sur des interviews de l’artiste. Le dialogue entre Rosinski et Gaumer est riche en révélations et presque intimiste, tant le journaliste connaît son métier et l’homme qu’il interviewe. Ainsi, le lecteur saura tout sur Rosinski, de son enfance difficile mais pleine d’enseignement en Pologne jusqu'à son exil en Belgique, puis à sa vie paisible en Suisse. Les questions de Gaumer sont percutantes et directes. Rosinski répond à tout, sans ambages ni faux semblants. L’accent est mis sur l’humain : on a l’impression d’ouvrir l’album photo commenté en direct de l’auteur. Rosinski parle abondamment de sa famille, dont certains membres auront un rôle à jouer dans son parcours artistique : sa femme Kasia qui servira d’impressario tout au long de sa carrière, sa fille qui participera à la mise en couleurs de certains albums et son fils Piotr qui s’occupera de communication et du marketing des dernières œuvres de son père. Rosinski évoque aussi la Pologne pendant la guerre, l’exil en Belgique et la mort récente de sa femme, sa complice de toujours. A travers des anecdotes plus ou moins cocasses ou parfois tristes, l'ensemble représente un superbe album de souvenirs. Patrick Gaumer a l’art de mettre à l’aise son invité et Rosinski se confie et parle de tout sans retenue. Cependant, que le lecteur se rassure : dans cette abondante étude (plus de 400 pages), on apprend aussi beaucoup de choses sur le travail artistique de l’auteur polonais. Ainsi, les chapitres reprennent un à un toutes les œuvres de l’artiste avec, bien sûr, en guest-star la série Thorgal qui aura propulsé Rosinski aux sommets du 9ème art. C’est aussi une façon sympathique de redécouvrir les coulisses de la série futuriste Hans, Le grand pouvoir du Chninkel, le beau et sombre Western, le cousin adulte de Thorgal, Complainte des Landes perdues ou encore l’aventure romantique du Comte de Skarbek. Là encore, on apprend tout ou presque : la technique de dessin, l’échange avec les scénaristes, l’accueil de la critique et du public. Chaque fin de chapitre est ponctuée par une interview des scénaristes qui ont travaillé avec l’artiste, tels Jean Van Hamme, André-Paul Duchâteau, Jean Dufaux ou encore Yves Sente. Rosinski donne même son avis sur les séries parallèles comme Les mondes de Thorgal ou les suites de Hans et des Complaintes. Pour agrémenter la lecture, l’ouvrage est accompagné de magnifiques peintures de l'artiste ou de photos d’époque, ce qui rend la lecture plus fluide et vivante. Le fan sera également heureux de découvrir des inédits comme un commentaire détaillé de Van Hamme sur une des premières planches de Thorgal ! Bref, avec ce témoignage fleuve, on (re)découvre un artiste au talent énorme, qui cherche sans cesse à se renouveler. Il est en effet passé du noir et blanc au style enfantin, puis au réalisme, pour enfin faire de la couleur directe ! Éternel esthète, Rosinski veut explorer son art jusqu’au bout, avec passion et exigence. Une superbe étude d’un des grands maîtres de la bande dessinée.