L'histoire :
Retiré dans la quiétude de la campagne anglaise, Sherlock Holmes troque son violon contre une flûte traversière, convaincu que ses douces mélodies éveillent davantage la curiosité des abeilles que les archet grinçants. Plus qu’un simple divertissement musical, il entreprend une véritable étude du développement social de ces insectes. Mycroft débarque pour briser cet instant de quiétude : il ne sollicite pas l’expertise de son frère pour résoudre un crime, mais pour l’empêcher. Un groupuscule de malfrats, héritiers déclarés du sinistre professeur Moriarty, projettent un attentat contre le train reliant Douvres à Londres. Mycroft craint déjà l’hécatombe. Pendant ce temps, à des centaines de kilomètres de là, dans la bibliothèque feutrée de l’arsenal de Paris, Arsène Lupin tente une audacieuse ruse : prétexter un exercice auprès du gardien de nuit pour s’emparer de précieux manuscrits. Mais Ganimard, vigilant et habile menteur, démasque l’imposture avant même que Lupin n’y songe : l’affaire tourne court et le gentleman-cambrioleur repart bredouille. De retour dans son repaire, Lupin découvre le trouble véritable : son antre a été visité. Posée sur son bureau, trône une carte de visite au nom de Moriarty. À la fois amusé et piqué au vif, il sent renaître en lui l’excitation du défi.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Sherlock Holmes contre Arsène Lupin réunit deux icônes du roman populaire dans un face à face savamment orchestré : la sagacité implacable de Holmes contre le panache facétieux du gentleman cambrioleur. Denis-Pierre Filippi bâtit son intrigue autour d’une sinistre conspiration, digne héritière de l’esprit de Moriarty : une série de larcins minutieusement planifiés dont l’enchaînement forcera Holmes et Lupin à unir leurs talents. Si cette confrontation a déjà été esquissée par Maurice Leblanc dans Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (1906 1907), rebaptisé pour des raisons légales, ce nouvel album insuffle au duel une modernité exaltante. Les thèmes de l’honneur, de la manipulation et de la rédemption ponctuent chaque rebondissement : Holmes y dévoile son œil de lynx et sa logique chirurgicale, tandis que Lupin déploie ses remarquables dons de métamorphose, d’acrobatie et d’intuition. Quant aux personnages secondaires – Watson, Lestrade, complices ou témoins impuissants – ils s’effacent devant le charisme irrésistible de ces deux titans de l’esprit. L’environnement graphique, signé Roger Vidal et mis en couleur avec l’assistance de Léa Chrétien, plonge le lecteur dans une Belle Époque automnale d’une précision quasi documentaire : tweeds feutrés, reflets sur la vaisselle, bruine londonienne. Son trait semi réaliste, ses cadrages cinématographiques et son jeu maîtrisé d’ombres et de lumière renforcent la tension à chaque case. On y retrouve la même rigueur et le souci du détail qu’il portait déjà dans La Petite fille et le Postman (2023), où chaque arrière plan portait sa propre charge narrative et émotionnelle. La palette chatoyante souligne avec élégance l’opposition des héros : le froid bleuté des enquêtes tranche avec la chaleur mordorée des apparitions de Lupin. Le résultat ? Un album où la virtuosité visuelle rivalise avec l’ingéniosité du scénario, offrant un véritable festin tant pour les yeux que pour l’esprit.