L'histoire :
A la suite de licenciements massifs dus au rachat de leur groupe, les salariés de l’usine Mondial Laser se sont mis en grève. Leur évacuation nocturne par les forces de l’ordre tourne au pugilat, à l’incendie, au drame. Quelques mois plus tard, une grande fête s’apprête à être donnée sur le Nausicaa, un paquebot de croisière de luxe, à l’occasion du nouvel an et des fructueuses opérations financières par le fond d’investissement FII. A bord du navire, qui doit juste s’éloigner à quelques encablures du port du Havre pour pouvoir profiter du feu d'artifice, les principaux actionnaires sont tous déguisés. Le champagne coule à flot, le caviar se dévore à la louche, la débauche promet d’être ultime. Sur la grande scène de la salle de spectacle, le PDG Edward Cawlpepper fait un discours à la gloire de sa réussite. Même le ministre de l’Intérieur fait partie des convives. Et tandis que la fête bat son plein, dans sa cabine, Melville qui a eu l’idée de cette sortie maritime, est en train de culbuter une journaliste tout en faisant une orgie de caviar. Soudain, une coupure de la vidéo l’incite à passer une robe de chambre pour aller voir le capitaine. Mais lorsqu’il arrive dans le poste de pilotage, il s’aperçoit qu’une coalition de salariés s’est emparée des commandes pour un détournement. Le bateau s’éloigne vers une tempête au Nord. Les salariés cherchent vengeance, ils ont minutieusement préparé leur coup et sont déterminés à aller très loin…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Notre part des ténèbres met en scène une forme extrême de révolte sociale, qui s’est étendue du côté du terrorisme. Ici, des salariés en colère mettent en effet en pratique une action sociale particulièrement minutieuse, comme s’il s’agissait d’un casse de bijouterie, façon Ocean’s eleven. Ils prennent en otage et dirigent vers la mort tous les passagers d’un moyen de transport de masse, façon Nine eleven. Et ils font ça avec un paquebot de croisière dans les eaux glacées de l’Atlantique Nord, façon Titanic. Le scénariste Gérard Mordillat fait l’adaptation de son propre roman, une étonnante métaphore de la lutte des classes, à laquelle il attribue une tonalité de thriller politique et de récit catastrophe. Si on recoupe ce type d’action avec les récents débordements qui ont accompagné les « actes » des gilets jaunes, cela ouvre singulièrement le périmètre des conflits sociaux de demain. Mordillat positionne son récit entre le fantasme du naufrage du capitalisme et le besoin d’exorciser l’odieux mépris de ce système envers les plus démunis. Evidemment, pour appuyer le propos, tout ici est caricatural, poussé très loin, de la débauche sur-expansive des riches (la scène d’intro fait penser à celle du Loup de Wall Street… les amateurs apprécieront !), jusqu’à la préparation minutieuse des terroristes, digne d’un commando paramilitaire expert (ils ont piqué des lance-rockets à l’Armée Française !). Néanmoins, les actualités nous rappellent que la réalité dépasse souvent la fiction. Le prolifique Eric Liberge met en scène cette catastrophe sociale avec son style encré réaliste ultra détaillé et abouti, complété d’un lavis de différentes teintes grisées ternes. Le pire, c’est que nous sommes sans doute tous sur le même bateau…