L'histoire :
Rose, 43 ans, fume sur le trottoir, dans une rue de sa ville : Désherte-vie. Rose fume seule s’offrant une parenthèse, une petite fuite : belle idée cette nouvelle loi qui interdit de s’emplir les poumons de fumée en plein restaurant. Tant pis si, en plus du cancer qu’on lui promet en s’adonnant à ce vice, elle choppe en plus une bonne pneumonie : de deux pierres, un coup ! Elle est pourtant venue accompagnée, mais elle sait qu’elle fait semblant. Ce mec, comme bien d’autres avant lui, elle s’en fout carrément. Elle s’en moque comme son père le faisait d’elle, en répétant à loisir qu’il regrettait qu’elle soit née. A force, elle s’est persuadée qu’elle et sa sœur étaient les pires désastres de leur géniteur. Le paternel mort, Rose a hérité de sa maison, mais elle n’y va que pour tondre la pelouse, épisodiquement, quand les herbes sont trop hautes. Elle y retournera plus souvent peut-être quand son père sera mort depuis plus longtemps. Est-ce à cause de lui qu’elle se sent si vide, si transparente ? Est-ce à cause de sa sœur, de sa mère ou de tous ces hommes qui n’ont pas su la faire s’aimer ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Parcours à rebours d’une quadragénaire silencieuse Le monde Rose est un album infiniment touchant. Pour autant, aucun psychodrame pour drainer notre empathie. Pas d’excès, pas de violence ou d’effets de manches qui pourraient teinter le propos d’une insolite dramaturgie. Non… Cette fumeuse aux cheveux courts, c’est sa douleur qui nous prend par la main immédiatement. Sa vie est pourtant presque banale. Elle démarre juste mal et multiplie les accidents douloureux. Rose aurait pu s’en sortir, elle aurait du. Mais c’était oublier qu’avant tout, pour lutter, il faut être et que Rose n’est pas. Transparente, rendue vide par ceux qui aurait du l’inonder d’amour (et le lui apprendre), elle cherche infiniment à retrouver quelque chose. Nous le confier est peut-être un début, pour qu’enfin ses papilles découvrent la vie… Très peu de dialogues, de phylactères, mais une voix off subtile pour laquelle chaque mot est pesé. Cet incontestable plaisir d’écrire, d’assembler les mots pour les gonfler d’émotion nous lie très vite à ce récit atypique, pour une belle leçon de sensibilité. Le noir et blanc fortement encré, comme un jeu d’ombres chinoises, conduit lui aussi parfaitement cette force émotive : le visage fermée de Rose, son regard vide d’envie, ou cette manière de transmettre les silences, complètent par petites touches toute la mélancolie du récit. Une autre – mais une belle – manière de faire de la bande dessinée.