L'histoire :
Sanguine : Une jeune femme nue, aux formes généreuses, marche sur un sol aride. Elle pénètre dans une forêt luxuriante. Elle y cueille des fruits pulpeux, mord dans l’un d’eux et se délecte de son nectar. Repue ou droguée, elle s’affale dans l’herbe d’une clairière, pour une petite sieste. Etrangement, les fruits murs tombés çà et là sur le sol affluent et convergent vers elle, jusqu’à la recouvrir et l’emprisonner totalement. Cela la réveille, en panique, mais c’est trop tard. Les fruits et la moisissure l’absorbent entièrement, alors que la nuit tombe. Quand elle se réveille quelques temps plus tard, c’est un fruit géant qui tient lieu d’astre solaire. Elle est heureuse car enceinte d’un fruit géant qui forme le galbe arrondi de son ventre, en dépassant comme d’une poche de kangourou.
Hydrogenèse : Une femme imberbe jaillie nue d’une planète orgasmique et se décompose en formes patatoïdes. Dans un tout cosmique, des planètes la composent et pénètrent sa vulve.
Arkhé : En des temps lointains et obscurs, une arche antédulivienne attend au sommet d’un monticule, telle la carapace en kevlar d’un insecte géant. Des titans tournent autour pendant des lustres, puis des flots montent et la submergent. L’arche ne flotte pas, elle se laisse engloutir. La voilà au fond des eaux, pour des millénaires…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Philippe Caza a évidemment fait partie de l’équipe de Metal Hurlant, dès les premières heures de cette aventure éditoriale générée par les humanoïdes Dionnet, Druillet et Moebius, à la fin des années 70. Cette carte blanche futuriste laissait libre cours aux imaginaires sans borne d’auteurs de science-fiction. L’onirisme et l’érotisme chers à Caza ont alors pu s’y épanouir, comme le prouvent les planches des diverses historiettes ici réunies et obéissant pour la plupart à l’écriture automatique (pas de construction scénaristique pré-établie avant d’entamer la case suivante). Ses thématiques fortes et récurrentes se déclinent en des visions d’un futur cosmique débridé, se mêlant elles-mêmes avec les mythologies fondatrices religieuses. A l’image de la première historiette ci-dessus résumée, on croise souvent des créatures de rêves dénudées, qui fusionnent de manière plus organique que technologique, avec les cycles végétaux, animaux, minéraux ou métaphysiques… sachant que tout cela est un peu la même chose. Pulsions sexuelles, prolifération incontrôlée, recyclage accéléré, soupe primordiale, grand vide cosmique… Eros et thanatos, création et putréfaction, s’entremêlent en une Création divine-érotico-cosmique qui assimile le Grand Tout à un cloaque. Le puissant onirisme s’exprime à travers un visuel époustouflant, qui marquèrent des générations de lecteurs en les attirant vers la SF – et nombre de motifs imprimés sur les frontons lumineux des flippers. Pour vous donner une idée des paradigmes : dans Laïlah, l’une des plus marquantes histoires, l’héroïne se retrouve avec une (jolie) vulve au milieu du front, après qu’on lui a arraché son unicorne. Un homme (tyran) la féconde de force, donc elle l’assassine, vengeresse (d’un coup d’unicorne, au milieu du front, pour que le symbole soit complet !) et son crâne accouche en explosant. Les textes qui accompagnent parfois les planches sont volubiles, lyriques, boursouflés, concentrés et parfaitement hermétiques.