L'histoire :
Fin 2013, Daniel discute avec son père Jean-Pierre sur une plage de l’Hérault. Ce dernier est « pied-noir » d’origine, c’est-à-dire qu’il est de nationalité française, mais il est né et a vécu ses 30 premières années en Algérie… avant d’en être chassé en 1962, au moment des accords d’Evian. Depuis un demi-siècle, Jean-Pierre nourrit un sentiment particulièrement aigre de ce déracinement forcé. Jamais, ô grand jamais, Jean-Pierre ne remettra les pieds là-bas, malgré les tentatives de son fils qui lui propose incessamment de retourner visiter ce pays. Pour lui, l’Algérie, c’est l’Atlantide, le continent englouti pour toujours. De fait, c’est en solitaire que Daniel fait la traversée au printemps 2014. Il a bien en tête les alertes de son père, qui a conservé en mémoire la haine anti-française de l’époque. Pourtant, quand il arrive, Daniel est plutôt bien accueilli par le taxi qui le conduit à son hôtel. Puis Daniel part se promener à pied, en quête de la rue Auber et de l’immeuble de jeunesse de son père. Il s’installe dans un café en face et attend le soir, que de la lumière s’allume dans l’ex appartement familial. C’est alors qu’il s’en va toquer à la porte d’Haddad, prof de français à la retraite. Haddad est affable et cultivé. Il lui propose de prendre des photos de l’intérieur de l’appartement, pour les montrer à son père à son retour…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec les accords d’Evian de 1962 et l’indépendance de l’Algérie mettant fin à la guerre contre le colon français, environ 800 000 « pieds-noirs » ont été rapatriés en France. Ce retour « forcé » a été vécu comme un déracinement tragique, souvent comme une trahison de l’Etat français. Bien qu’elle ne soit pas précisément autobiographique, cette quête des origines semble tout de même faire sens avec la mémoire familiale de l’auteur, Fred Neidhardt, né à Rabat (Maroc) en 1966. Son alter ego Daniel fait une sorte de voyage initiatique à Alger, à la recherche des éléments clés que lui a raconté son père, à travers des souvenirs fabriqués qu’il cherche à ancrer. Cette expérience est l’occasion de faire le point sur les mentalités en cours de chaque côté de la méditerranée. Le racisme bilatéral est-il authentique ou préfabriqué ? Quid du ressentiment qui perdure ? De l’islamisation ? Des traces laissées par la culture française ? Des sites mémoriels emblématiques ? Par le biais d’une démarche objective et ouverte, parfois par le truchement de flashbacks utiles, Neidhardt fait un tour plutôt exhaustif de beaucoup de points sensibles qui tournent autour de ces questions. On peut le constater à chaque fois qu’un responsable politique fait une sortie médiatique sur le sujet : l’Algérie reste une plaie mal cicatrisée. La simplicité de son dessin semi-réaliste légèrement stylisé n’est certes pas la plus-value première de cette histoire. Mais son trait est limpide, complété par une gamme restreinte de couleurs en aplats, et son découpage fort bien rythmé s’avèrent des vecteurs tout à fait pertinents pour nous transmettre cette quête de racines transgénérationnelle.