L'histoire :
En cette année indéterminée 20XX, l’agent infiltrée Anna procure à la NAIA – North Asia Intelligence Agency – l’EP1 qu’elle a dérobé à l’antenne Benelux d’un service secret ennemi. L’Elephant Programme, un outil d’investigation en expérimentation sous forme d’un boitier, permet de « scruter la mémoire visuelle du sujet connecté » à l’aide d’électrodes. Grâce au module complémentaire envoyé par Per Esperen, sous-directeur technique de l’antenne Belgrade, les agents Le Chauve et Spautz, reliés ensemble à ce qui fait dès lors office de radar, mènent l’enquête sur ce vol en s’immergeant dans la dimension virtuelle de leur mémoire. Suite au flux de motifs qui apparaissent successivement, à l’optique brouillée, c’est sur les pas d’une certaine Natalia qu’ils se retrouvent à marcher. Anna n’est autre que cette Natalia. Si la trace de l’EP1 est désormais retrouvée, Per Esperen a pourtant d’autres projets…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Léo Quiévreux, anciennement Léo, figure underground des années 90, à la tête des éditions Gotoproduction jusqu’en 2001, n’est pas né de la dernière pluie. Le Programme Immersion, par son infinie maîtrise, en atteste à nouveau. La première lecture peine à construire l’intelligibilité de ce polar science-fictif à la narration diffractée : personnages multiples, passage d’un espace à un autre, réel, inconscient ou vers ces étranges dimensions créées par les flux de l’EP1. Scénario à la David Lynch, en perte de repères, qui nous invite à se laisser porter par cette oscillation, va-et-vient entre clarté et obscurité du récit. A l’image de ce puissant clair-obscur qui, paradoxalement, guide et brouille notre regard. Les personnages, ressemblant à ceux d’un Burns, évoluent dans des univers urbains vraisemblables, mais étrangement figés dans leurs lignes et leurs absences de vie humaine. Des cases abstraites, signes du « flux » de l’EP1, fendent la narration, à l’instar d’images subliminales, sur lesquelles le temps se serait arrêté. Une lecture erratique donc, semblable au parcours de ces individus propulsés dans des territoires indéterminés, et engagés dans de troubles missions. Lecture qui traverse cependant des champs de matières : de la densité d’un aplat noir, au délicat trait d’une estampe, en passant par les points vintages d’une trame… Sillonnerions-nous aussi une mémoire, celle du neuvième art ? Les planches, sublimement composées, construisent en outre une géométrie faite de multicadres, lignes de fuite, brisures, orthogonalités contredisant les ondulations qui les parcourent également. Scénographie de motifs et de matières qui dessinent le décor de la fiction, tout en le détruisant, par un agencement complexe de niveaux de vision, nous invitant constamment à passer d’une à deux dimensions. Ainsi, un immeuble noir aux fenêtres blanches est-il également un tangible dialogue de lignes, ou la mise en abyme d’un gaufrier. Bien plus qu’un polar, ce livre est une expérience visuelle, d’errance, de passages, d’échappement peut-être.