L'histoire :
Le Tanka est une forme classique de la poésie japonaise en 5 vers. La princesse Shikibo, qui vécut, semble-t-il, au Xème siècle de notre ère, fut un auteur renommé. On ne sait rien de sa vie. Une seule de ses compositions nous est parvenue, dont la signification peut sembler obscure. Peut-être voulait-t-elle nous dire qu'une fois son pays défait, son père tué, son palais brûlé, elle choisit de se couper de la vie en fermant les yeux et en se murant dans le silence pour le reste de son existence. Peut-être voulait-elle dire qu'elle refusa de regarder le ronin venu la venger et qui lui rapporta la tête de l'assassin de son père. Peut-être voulait-elle dire que ses yeux clos conduisirent le seul homme qui l'aima vraiment à périr pour elle. Et que, quand elle se résigna à enfin les ouvrir, il était trop tard... Voici ce qu'elle écrivit alors :
Je n'aurais jamais du ouvrir les yeux
J'aurais mieux fait de rêver
Je n'aurais pas vu mes larmes
Comme une chaude pluie d'été
Sur une lame brisée.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il y a une constante avec Sergio Toppi : ses histoires sont toujours un enchantement pour le lecteur. Cette fois-ci, Mosquito réunit 5 courts récits, présentés dans un ordre qui n'est pas chronologique et qui ont été publiés en Italie en 1976, 1982 et 1988. Le premier d'entre-eux donne son titre à l'album ainsi que le ton : la poésie qui s'en dégage charrie son lot de violence et une infinie tristesse. Mourir par Amour, thème intemporel... ou quand le courage se mue encore en inconscience, tel sera le sort d'un ronin que la Princesse n'aura jamais vu. Puis Kimura nous raconte l'histoire de Masamune, maître fabricant les sabres les plus solides qu'on ait connus. Son savoir est convoité et la brutalité d'un guerrier l'amène à accepter de lui fabriquer une lame, sous la menace. Mais le vieil homme a plus d'un tour dans son sac et il élabore une stratégie afin que le sort se retourne contre l'homme violent. Mais ce faisant, il enfreindra pour la première fois de sa vie les règles sacrées de son art et renoncera aux honneurs qui lui étaient promis. L'honneur et le respect de la tradition, si chers aux japonais... Le retour d'Ishi est le récit d'une famille brisée par le départ de leur fils à la guerre. Alors qu'un soldat qu'il a bien connu revient au pays et le supplante dans le cœur désespéré de ses parents, Ishi, le fils devenu Samouraï, n'osera jamais dire à ses parents qu'il est désormais un homme de guerre et qu'il renonce à revenir travailler aux champs avec eux. Où quand le destin sanglant d'un fils infléchit à tout jamais celui d'une famille... Sato, quant à lui, est un vieux paysan qui sauvera un enfant et lui confiera un lourd secret, de ceux qui différencient les légendes qu'on raconte au sujet des samouraïs et la réalité de ce qu'a été leur vie. Et la morale est simple : ne jamais se fier aux apparences... Enfin Ogari 1650 est une métaphore de l'apocalypse nucléaire qui frappa ce pays, élaborée à travers la stupidité d'un homme revanchard, si crétin qu'il se condamnera également. Car il est un sujet qui revient irrémédiablement avec l'italien : la vengeance, la soif de pouvoir et la cupidité ne sont jamais que des moyens de se faire hara-kiri. Quelques soient l'endroit et les temps, quelques soient les hommes qui cèdent aux basses pulsions... Encore un album lumineux, fut-il en Noir et Blanc.