L'histoire :
Assigné à résidence en 2000 à Virginia Water, près de Londres, le général Pinochet achève 17 mois de détention à Londres. Le juge espagnol Baltasar Garzón est parvenu à engager des poursuites contre le dictateur chilien. Il est accusé de génocide, terrorisme et violations répétées des droits de l’homme. Par la fenêtre, il observe un rapace capturer sa proie, métaphore de sa propre stratégie : attendre patiemment, frapper avec précision. Ce spectacle ravive ses souvenirs du Chili, lorsqu’il régnait sur la Moneda en maître absolu. Son esprit vagabonde jusqu’à son enfance à Santiago en 1919, où il découvre la grandeur de la ville aux côtés de sa mère. Il se souvient des manifestations ouvrières et du rejet viscéral du communisme inculqué par sa famille. Il se remémore de son arrivée à l’hôpital Saint-Augustin de Santiago du Chili en septembre 1919. Au cours de la manifestation, une voiture lui a roulé sur la jambe. Il est sérieusement blessé, au point qu’il est possible qu’on l’ampute. À quatre ans, il découvre l’ennemi qui allait le poursuivre toute sa vie. Et sa mère est à son chevet. Elle pleure.
Pinochet est au crépuscule de sa vie. La radio diffuse des chansons britanniques qu’il perçoit comme corrompues par l’idéologie marxiste. Mais Pinochet n’est pas seul : Margaret Thatcher, amie et alliée, lui rend visite. Elle lui témoigne son indéfectible soutien, rappelant la dette de l’Angleterre envers lui pour son aide durant la guerre des Malouines. Entre nostalgie et paranoïa, l’ancien dictateur revit ses triomphes et ses peurs, hanté par les fantômes de son passé.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le général Pinochet, dictateur du Chili, s’est construit autour d’une obsession : éradiquer le communisme. Cet album ne cherche pas à le réhabiliter, mais à dresser le portrait d’un homme hanté par son passé. À l’aube de sa vie, il recrute ses fantômes et tente de justifier ses crimes. Pourquoi les États-Unis, qui l’ont soutenu, l’abandonnent-ils ? Pourquoi Reagan, Kissinger et Thatcher l’ont-ils utilisé avant de le lâcher ? Francisco Ortega signe un scénario dense et documenté, qui explore la psyché torturée de Pinochet (on a l’impression d’être dans le Noël de Scrooge de Charles Dickens), tandis que Félix Vega illustre ce récit avec un dessin proche du crayon à papier, aux couleurs tamisées. Ce style figé, renforcé par l’insertion de photographies, ancre le récit dans le réel et délivre une atmosphère oppressante. On découvre un Pinochet façonné par des figures féminines : une mère dure, une épouse manipulatrice. On y retrouve la place essentielle de la religion, sa foi presque messianique et ses trahisons successives. Un personnage étrange, dents d'or, incarne une conscience insidieuse qui le suit tout au long de l’histoire, tandis que des figures métaphoriques comme Oncle Sam et Superman rappellent l’influence des puissances étrangères sur son destin. Cependant, la narration, parfois lourde, enchaîne les événements de manière abrupte, manquant parfois de fluidité. Au final, on s’aperçoit qu’entre ses trahisons, ses délits, les assassinats, les vols, les tortures, Pinochet n’a jamais grandi, il n’a jamais cessé d’être un enfant peureux, traqué par ses fantômes. Pour compléter cet album, on ne peut que vous conseiller de voir le film Colony avec Emma Watson et Daniel Brühl...