L'histoire :
Alors que la Belle Epoque pointe le bout de son nez, quatre jeunes femmes à la fois insouciantes et fragiles, pleines de rêves et d'ambition, cohabitent dans un appartement du quartier Montparnasse à Paris. Amélie la sans-souci rêve d'écriture et de mots enlacés avec mélodie, sans toutefois trouver encore le déclic ou l'inspiration. Avant de devenir écrivain, elle a été envoyée chez Gaston Blanchard, un philosophe en mal d'inspiration depuis une rupture amoureuse, pour l'aider à écrire un roman... Garance, elle, plus légère et iconoclaste, préfère la peinture, passion qu'elle peut explorer à loisir grâce à une rente. Son professeur lui reconnaît d'ailleurs un talent certain, qu'elle va mettre au service d'une autre élève. Pour Elise, plus futile en apparence, c'est le chant qui la transporte. Pour percer dans le métier, elle est prête à beaucoup, quitte à tout perdre. Quant à Rose-Aymée, sensuelle objet de contemplation, elle est la plus belle de toute. Lascive, elle promène souvent sa nudité aux quatre coins de l'appartement... C'est donc l'histoire de quatre jeunes femmes pleines de désirs, en quête de réalisation artistique, mais plongées dans le monde matériel et visible. Or les rêves ne durent qu'un temps et finissent par se transformer en illusions... Prisonnières d'un monde matériel, d'une époque et de leur amour aliénant pour les hommes, ces filles vont connaître joies et déceptions d'une existence à bâtir.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le livre s'ouvre sur une célèbre allégorie philosophique, le mythe de la caverne de Platon, invitation à dépasser le cadre des apparences pour rejoindre les vérités supérieures. Métaphore à peine déguisée du rêve un peu naïf de ces filles de devenir artiste, mu en une illusion durable. Dans cette histoire de dévoilement (artistique, existentiel, social) flirtant constamment avec l'idée d'un drame à venir, Nadja confronte les personnes, les caractères et les époques – décors de la Belle Epoque face aux dialogues légèrement anachroniques – une manière pour elle de souligner le caractère iconoclaste de certains personnages, confrontés à l'immobilisme artistique et social mais toujours en quête d'une libération, par l'Art ou l'amour. Si Nadja ancre son récit dans cette période, c'est aussi, semble-t-il, pour mieux accompagner la métamorphose de ces femmes encore jeunes et innocentes, pleines de fausses certitudes sur la vie et prisonnières des apparences sur le chemin de la réalisation de soi. Après l'oisiveté et l'insouciance, vient le temps des désillusions, d'une réalité crue faite d'amour et d'ambition contrariés. Plongées dans le monde matériel, ces filles-là ne voient que des reflets trompeurs pris pour la réalité même. Chaque fille rencontrera donc son « éducateur », celui qui les délivrera de l'erreur et des fausses croyances. C'est aussi l'histoire d'une perte de repères, un moment de l'éducation philosophique. L'Art a donc ici une fonction bien précise : celle d'apprendre à se tourner vers l'idée du Bien, à s'arracher du monde sensible pour tendre vers le monde intelligible, dirait Platon. S’appuyant sur une colorisation mate ou troublante, d'une chaleureuse mélancolie, l’auteure utilise la gouache et un graphisme très pictural pour tirer le récit vers un crépuscule de fantasmes, quand il n'est pas dans le réel. Le livre étant constamment traversé par une dramaturgie inquiétante nourrie d'interrogations, de doutes et de déceptions... A la fois tableau d'époque, récit d'apprentissage, réflexion sensible sur la condition féminine et le pouvoir, analyse fine des relations hommes/femmes, Les Filles de Montparnasse s'annonce déjà comme une série prometteuse, remplie de passions destructrices... Très beau !