L'histoire :
Une petite brune baptisée Mila se baigne dans une rivière. Quand elle remonte à la surface, une blondinette assise sur la berge se moque gentiment d'elle en lui faisant croire qu'elle était poursuivie par un serpent d'eau. La blondinette s'appelle Agnès et se dit surprise que Mila la voit... serait-elle un fantôme ? Mila, quant à elle, est effectivement troublée... surtout par les dents d'Agnès, qu'elle trouve magnifiques. Elle veut les toucher ! Agnès lui propose de faire un pique-nique le lendemain, avant que Mila rentre chez elle. La nuit, Mila fait un rêve glauque : elle descend l'escalier d'une sorte de sépulture qui s'enfonce dans l'océan et se retrouve dans une salle obscure entourée d'anguilles et de poisson. Le lendemain, lors du pique-nique sur la plage, Mila et Agnès font les 400 coups. Affublées de masques de renard et de lapin, elle embêtent les autres vacanciers. Avec l'adrénaline, le trouble de Mila grandit. Un orage se prépare. Alors Agnès invite Mila à se réfugier chez elle. Mila y fait subrepticement la connaissance du frère d'Agnès, et se retrouve dans sa chambre. Là, dans une pulsion, les deux fillettes s'embrassent langoureusement. Cet acte les révulse aussitôt et Agnès ressent un puissant malaise. Un tentacule sombre sort de sa bouche, puis deux... puis c'est un poulpe entier, énorme et pourvu d'un regard satanique, que la fillette vomit sur le lit, accompagné d'un liquide noir comme de l'encre, devant Mila épouvantée...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec Le serpent d'eau, Tony Sandoval propose un original conte romantique et macabre, dans la lignée toute « burtonienne » du reste de son œuvre. Au fil des 136 planches de ce one-shot, il met en scène l'aventure onirique et fantastique de deux fillettes, l'une brune et vivante, l'autre blonde et fantomatique, qui luttent ensemble pour surpasser la mort. Des thématiques fortes et traditionnelles du registre se dégagent : les amours interdites, l'eau purificatrice et... saumâtre, abyssale. Le plus étonnant, c'est que l'auteur mexicain confronte ses deux petites héroïnes à des sentiments érotiques, sans que cela soit jamais inconvenant (le baiser explicite du début est osé). Ou à des scènes d'épouvantes sanguinolentes (le combat final), qui destinent plutôt l'ouvrage à un public mature. Les leviers sont parfois incongrus (l'obsession des dents... il paraît qu'en interprétation des rêves, la dentition a une signification morbide) et très souvent contemplatifs, à travers un graphisme sombre et envoûtant, des ambiances de spleen visuel parfaitement maîtrisées. L'objectif n'est pas sans doute pas d'être tout à fait explicite quand à l'interprétation des événements. Sandoval avoue avoir été inspiré par l'œuvre éponyme de Klimt et le conte Bérénice d'Edgar Poe. Il cultive surtout mieux que jamais les décorums étranges et inquiétants, comme s'il avait une lorgnette directement pointée outre-tombe. Des images puissantes resteront longtemps en surimpression rétinienne du lecteur : le vomissement du poulpe (logique pour la collection Calamar, pour laquelle Sandoval est d'ailleurs directeur de collection), le fameux baiser, les squelettes de chiens, le déluge final d'hémoglobine...