L'histoire :
Au printemps 1988, trois jeunes « des quartiers » se sont trouvé un coin de verdure au bord du canal d’Orthies, près de Lille. Soudain, un coup de feu retentit, qui semble provenir d’une vieille péniche. Les djeunz montent à bord et entendent à mesure qu’ils approchent un vieux disque rayé qui tourne sur une platine. Téméraires, ils descendent dans la cabine de vie. Des photos d’Algérie au mur, une affiche « OAS veille »… ça concorde avec la réputation du vieux qui habite là, un pied-noir. Ils poussent la porte d’une autre pièce et trouve le gars mort à la chaise de son bureau, une balle dans la tempe, le révolver à ses pieds. La photo en noir et blanc d’une gamine défigurée est posée devant lui dans un cadre. Un verre de whisky est servi. Les gamins déduisent plein d’explications à ce « suicide » : soit c’est une sordide affaire de pédophilie, soit un règlement de compte entre caïds. Mais ils n’ont pas envie d’être mêlés à cette affaire, alors pour effacer leurs empreintes, ils foutent le feu à la péniche et se sauvent en courant. 5 ans plus tôt, Martine, qui ressemble à la gamine de la photo qui aurait vieilli, est chez son ophtalmo. Celui-ci la prévient : elle va perdre la vue de son unique œil d’ici un an ou deux. Il faut qu’elle prenne ses dispositions avant de devenir complètement aveugle. Martine sait ce qu’il lui reste à faire…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Savez-vous qui est « la grande Zohra » ? C’est le surnom donné à Charles de Gaulle dans les années 60 par les membres de l’OAS, l’Organisation de l’Armée Secrète, un groupuscule d’extrême droite qui imputait la perte de l’Algérie Française à de Gaulle et voulait se venger en l’assassinant. L’attentat (raté) le plus célèbre est celui du Petit Clamart en août 1962. Mais avant cela, le 8 septembre 1961, un engin explose sur une route de campagne du côté de Pont-sur-Seine. La DS du général Président passe au travers d’un rideau de flamme et continue sa route. Cette anecdote est représentée dans cette première partie scénarisée par Yann, qui focalise dans le diptyque prévu sur le terrorisme de l’OAS de cette époque. Yann mélange sans scrupule et dans un savant désordre les époques. Les séquences s’empilent ainsi façon patchwork, de 1962 à 1988, et mettent en scène majoritairement trois personnages : une victime des attentats du FLN, une activiste de l’OAS et un chef terroriste borgne, André Chenal. Ce dernier est un ersatz de l’authentique André Canal, dit « le Monocle noir » (une blessure de guerre l’a rendu borgne), qui a réellement fomenté les attentats contre de Gaulle. Paradoxalement eut égard à la gravité du sujet historique, le ton est plutôt léger, notamment grâce au dessin semi-réaliste expressif et documenté de Jérôme Phalippou, coloré avec pas mal de contrastes par Fabien Alquier. Mais pas que ! Yann s’amuse (comme souvent) à joncher son scénario de clins d’œil, soit à des personnalités authentiques (on croise Pierre Lazareff, Brigitte Bardot, évidement tonton Charles et tante Yvonne…), soit à des personnages de BD insolites comme Raymond Calbuth (pour un rôle à texte récurrent !) ou Gil Jourdan (mieux caché p.35). Dans le dossier final iconographique, Yann revient sur l’intention de cette histoire, qui le travaille depuis des années étant donné ses propres origines marseillaises.