L'histoire :
Il y pensait depuis si longtemps à cette ville… Aussi, les premières goulées d’air offertes par la gare de Rüttingen sont-elles un vrai délice pour le jeune Dieter Krantz, qui vient à la Capitale pour étudier la peinture et tenter de rentrer à l’Académie des Beaux Arts. Il laisse pourtant à Schemerhorn sa fiancée, Erna. Mais tant pis : l’attrait de la ville est plus fort que tout. Tout nouvel arrivant à Rüttingen se doit de trouver un chaperon. Un type débrouillard qui connait les ficelles et facilite rapidement l’intégration. Peu importe si la plupart sont, soi-disant, à la solde de la police secrète de l’empire, le fameux 8e bureau : Dieter jette son dévolu sur le sympathique Foscarello. Ce compère ne tarde pas à lui trouver un logement dans la pension de Mme Heimlich. Le jeune étudiant y fait la connaissance des autres pensionnaires. En particulier, il sympathise très vite avec Moritz, un curieux nain, aide-comptable au Théâtre des Nouveautés. Puis vient l’heure de suivre les cours à l’atelier de Jacob Stils qui doit le préparer le concours de la fameuse Académie… Mais à coté de cette enivrante nouveauté, la ville offre aussi un visage beaucoup moins réjouissant : violences policières régulières à l’égard des populations immigrantes ; proliférations d’assommoirs, bordels et tripots ; organisation du marché du vice par le 8e bureau pour remplir ses caisses noires… Bref, Rüttingen est aussi la ville de tous les dangers. Mais Dieter s’y sent bien. D’autant mieux que la jolie Rosa arrive dans la pension…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
La ville de Rüttingen et l’empire dont elle est la capitale n’existent pas. Les événements ici décrits sont pure fiction. Mais c’est un peu comme pour le fameux slogan imaginé pour un soda : ça à la couleur de… et ça ressemble à… Du coup, on retrouve avec beaucoup de jubilation une atmosphère, un contexte sociopolitique et historique très fin XIXe, quelque part à l’est de l’Europe. Il y a ce totalitarisme ancestral violent et pesant… Il y a le pendant révolutionnaire qui brule nos protagonistes d’un feu ardent d’envie de liberté… L’histoire s’enroule d’ailleurs très habillement autour de ces derniers. Ainsi, on se laisse absorber par le destin d’un jeune étudiant en peinture, vierge de la tête au pied et qui par amour ou amitié se laissera emporter par le flot mouvant de l’Histoire de son pays. Epique et initiatique, son aventure capte très rapidement, en raison d’une maitrise narrative impeccable (équilibre et saveur de la voix off et des dialogues) et d’un rythme soutenu, traduisant parfaitement la sensation d’inexorabilité des événements. Au-delà, la présentation des mécanismes totalitaires est particulièrement réussie. Mais ce qui scelle définitivement notre engouement, reste la place faite aux personnages, tous rapidement attachants car terriblement humains. A être scotché ainsi, il y a bien un revers de médaille. Celui, tout simplement, de voir la conclusion bien vite arriver, en imaginant comment cet univers grouillant aurait pu être plus longuement exploité. Malgré la belle centaine de pages, un pavé à la Ibicus de Rabaté, dont cet album est très proche, ne nous aurait pas déplus. Graphiquement, le travail de Stéphane Soularue soutient parfaitement le récit : les noirs profonds scellent l’atmosphère ; l’aération des planches met en valeur le texte ; les cadrages et le choix de la mise en scène donnent un ton cinématographique du meilleur effet. Une excellente surprise en tous cas.