L'histoire :
New York 1961. Karen et Dick traversent Central Park. Ils s’extasient sur le fait que l’on se croirait en pleine nature à une autre époque, s’il n’y avait les immeubles à l’horizon. Karen objecte qu’elle n’est pas sûre que la présence des immeubles change beaucoup de choses. Au fond, ce pays est toujours aussi sauvage. Il voudrait bien la croire, mais le fait est que la nature n’est plus la même avec tout ce béton et ce bitume. Oui, mais si l’on gratte sous ce vernis, rien n’a changé selon la jeune femme. La vraie nature des Etats Unis est d’être indomptable. Descendante pour une part des premiers habitants du continent, elle ressent cette force en elle. Sur le chemin du café où ils vont jouer, elle insiste pour faire un crochet par Washington Square et y récupérer un sachet de marijuana. Arrivés au Café Wha, Karen s ‘empresse de s’en rouler un avant de monter sur scène. Dick lui demande d’ouvrir la fenêtre, ça va encore sentir…Quand Fred, le chanteur qui vient de terminer son concert, entre dans la loge, il demande à la jeune femme si elle a besoin de ça pour monter sur scène. Un peu timide, elle confirme, tout en expliquant qu’elle fait attention. Puis elle parle de sa difficulté à bien chanter devant des inconnus. C’est pour cette raison qu’elle ferme les yeux. Il trouve que c’est plutôt positif : « la chanteuse aux yeux fermés », ça a de la gueule, non ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Karen Dalton, admirée par Dylan notamment, fut un OVNI dans l’histoire musicale américaine. Cette chanteuse folk adepte des reprises s’appropriait en live les chansons des autres. Fervente défenseur de l’instant, elle se refusa longtemps à enregistrer en studio. Elle mena une vie libre et indépendante, qui ne lui apporta que la reconnaissance de ses pairs. Le public la connaissait si peu ! Elle exprimait son sens de la pureté à travers ses actes et ses choix. Dès les premières pages, le rythme de sénateur donne le top à un album contemplatif des états d’âmes d’une certaine époque, les mythiques années 60. Elle était « sur la route » comme tant d’autres, en permanente analyse de la vie, de l’importance sérieuse qu’il faut lui accorder, tout en se sachant de passage sur cette terre. Et donc, en n’oubliant pas d’optimiser ce laps de temps, quitte à enfreindre les lois bien pensantes. Le dessin typiquement 60’s d’Ana Rousse porte bien le psychédélisme ambiant et la chaleur humaine. Les décors sont riches, jouant tour à tour avec la perspective, les pointillés, le hachuré… bref, un trait inventif qui marque cependant le pas sur les visages aux expressions figées. Cédric Rassat s’est penché sur 8 années de la vie de la chanteuse, de 1961 à Green Village, à 1969 avec le festival de Woodstock, suivant l’artiste dans des moments parfois publics, souvent intimes, au cœur de l’esprit flower-power du moment. A dimension doucement philosophique, cet album donne en outre à connaître une femme discrète, mais forte, qui s’inspirait des plus grands pour les chanter à sa manière. Ils lui rendirent cet honneur en l’aidant à se produire malgré ses phobies et par le respect qu’elle leur inspirait. Victime du SIDA elle s’éteignit en 1993, victime de ses démons. Elle était néanmoins mue par une profonde sagesse pleine d’humanité.