L'histoire :
Ayant d’abord délaissé solitude des montagnes, froid et épaisse fourrure pour une verte vallée, Yéti quitte ce petit coin de paradis (qu’une commune voisine a transformé en décharge hautement toxique) pour gagner la grande ville. La cité se montre peu accueillante : Yéti est tellement différent. Malgré tout, il trouve logement et emploi : un job dans une entreprise de télémarketing. Cependant, ses difficultés à communiquer (Yéti à un langage parfaitement incompréhensible) et ses handicaps physiques ne tardent pas à lui attirer les foudres de ses collègues, puis de ses supérieurs qui préfèrent le cantonner à l’entretien des WC. Le soir, dans son petit studio, Yéti se sent triste et bien seul. Jusqu’au jour ou attiré par le cliquetis bruyant des clefs de son voisin de pallier, il jette un regard par l’œilleton : en guise de voisin, c’est une bien jolie voisine (certes un peu éméchée) qu’il entrevoit. Yéti en tombe immédiatement amoureux. Quelque temps plus tard, au lavomatic, il tente une approche. Mais sa maladresse et l’habituelle méfiance de la jeune femme à l’égard de la gent masculine, le font échouer. Pourtant, le soir même, elle l’invite à prendre un café dans son appartement. Comble de bonheur : elle fait peu de cas de ses différences, le comprend parfaitement quand il s’exprime et vit les mêmes difficultés d’intégration…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Sorte de Barbapapa bravasse et naïf au regard perdu, tout droit sorti d’un conte fantastique, Yéti permet à Alessandro Tota d’offrir à son récit deux angles de réflexions. Le premier, à l’évidence, utilise la créature rose bonbon (si incontestablement différente) comme point d’ancrage à une exploration permettant d’appréhender les difficultés de l’intégration pour tous ceux que les hasards ou les choix ont poussé vers un ailleurs qui n’est pas chez eux (le deviendra t-il ?) : ces fameux étrangers catalysant souvent rancœurs, voire haine, dans nos sociétés soi-disant humaines et civilisées. Le message est clair (celui de l’intégration), mais le dessinateur, grâce à ce personnage atypique, le sert avec nuances, en évitant les pièges d’un militantisme frontal et démago : la douceur et la poésie au service de l’engagement. Le second s’étire en filagramme tout au long du récit, au rythme du ton poétique insufflé par l’attendrissante bestiole. Ainsi, au-delà des difficultés à s’intégrer, c’est un véritable manque d’amour dont souffre notre héros : un vide abyssal qu’il s’apprête à combler en se reniant. D’où la question essentielle posée par le récit : faut il inévitablement oublier celui que l’on était pour espérer plaire et s’adapter à son nouvel environnement ? Pour parvenir à ses fins, Alessandro Tota s’en sort techniquement sans difficulté : la narration est fluide, le récit équilibré, les dialogues riches sans pour autant devenir étouffant, le dessin frais et à la mesure de la tendresse que nous inspire ce drôle de Yéti. A découvrir, incontestablement.