L'histoire :
Dans le sous-sol d'une fabrique de crayons d'Atlanta, un veilleur de nuit fait une découverte macabre. Le corps d'une jeune fille de 14 ans, employée de l'usine qui était venue chercher sa paye de la semaine. Lorsque la police arrive sur les lieux, Lee est évidemment le premier suspect. Mary Phagon a laissé un témoignage écrit à la main, qui semble désigner un homme noir. Dans le sud des Etats-Unis, en 1913, accuser un homme noir semble naturel pour beaucoup de gens. Malgré cela, les enquêteurs vont suivre une piste différente. Ils se rendent chez Leo Franck, le directeur de l'usine, un juif qui fait lui aussi l'objet de soupçons pleins de préjugés. Quel était son emploi du temps ce jour ou Mary est venu chercher son argent ? Que répond-il aux accusations que des employés de l'usine ne tardent pas à formuler sur les faveurs sexuelles qu'il exigerait des jeunes filles à qui il donne du travail ? Le début d'enquête est bâclé, les éventuelles traces présentes sur place ne sont pas exploitées. Un procès est très vite organisé, dont le procureur de l'état se mêle personnellement, et qui va mettre face à face deux défenses radicalement différentes. Leo Franck reste impassible, persuadé qu'il sera innocenté. Face à lui, Jim Conley, un employé noir de l'usine, qui semble avoir un alibi très structuré. Les médias s'emparent de l'affaire, propagent des rumeurs, alimentent les haines. La voie est ouverte pour une spectaculaire erreur judiciaire.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le scénariste Xavier Bétaucourt raconte ici le chemin qui mène d'un terrible fait divers à une terrifiante erreur judiciaire. Dans un contexte de haine raciale et de préjugés antisémites, il pointe le rôle irresponsable des journaux qui cherchent à faire sensation, tout comme les fautes professionnelles de ceux qui sont sensés faire surgir la vérité. Son récit est très documenté, habilement équilibré entre les faits d'époque et le témoignage d'un survivant de l'affaire. A bien des égards, l'affaire est édifiante car elle révèle que tous les points de vue sont emprunts de clichés affligeants, envers les deux suspects. Un constat désespérant dont les auteurs ont bien raison de préciser en préface qu'il est probablement encore possible aujourd'hui. L'album se lit comme une enquête journalistique bien construite, au découpage très classique. Olivier Perret déploie un style assez actuel très économe en décors, mais efficace dans la mesure où il ne cherche pas à prendre le devant sur l'ambition initiale du récit. Les auteurs veulent dénoncer une injustice peu connue du grand public, presque contemporaine de l'affaire Dreyfus. Ils le font d'une manière structurée, peu manichéenne, sans effet de manche. La lecture se focalise alors davantage sur le contenu que sur la forme, et laisse pantois. Et fait un peu réfléchir sur ce que seraient aujourd'hui les condamnations injustes, prononcées en partie pour satisfaire les foules.