L'histoire :
Georgette vit avec Georges ; Léonie avec Léon et Raymonde avec Raymond. S’ils ont l’air de faire les paires, ces couples battent pourtant de l’aile, les plumes dans l’alcool, dans la lie d’un rouge qui tâche. Trois femmes malheureuses, enfermées dans leur salon et leur histoire avec des hommes qui délaissent, quittent, trompent, maltraitent. Alors elles se noient désespérément dans la rouge robe de la vinasse. C’est aux alcooliques anonymes que leurs destins vont se croiser ; et bien loin de les sevrer, cette rencontre les amène, autour d’une bouteille, à la conclusion suivante : ce n’est pas la boisson qu’il faut supprimer, c’est l’homme !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
De rouge, il n’y a point dans ce récit en noir et blanc. Et de fait, rien ne fait tâche. Dessiné avant l’excellent Pigmentation d’un discours amoureux (Dédales, 2014), on y voit les prémices du travail icono-linguistique de Mai Li Bernard. Dans Pigmentation – dont le titre fait évidemment référence au livre du sémiologue Roland Barthes – des pastilles de couleur substituent aux mots une grammaire chromatique de l’émotion. Mortelle Vinasse évacue également le texte au profit d’une pantomime, et de pictogrammes on ne peut plus reconnaissables : ballons ou bouteilles de vin dominent les échanges, accompagnés de chiens, visages, etc. Ses personnages, dont la triangularité évoque les antiques figures égyptiennes (le ballon de rouge faisait-il partie des signes hiéroglyphiques… ?) dialoguent en effet comme Mai Li Bernard s’adresse à nous : par le biais de l’image. Une image qui va droit au but, épurée de tout détail. La jeune angoumoisine, dont le mémoire de fin d’étude portait sur la bande dessinée muette, reprend ainsi à son compte la loi minimaliste des années 60 : « less is more ». Décor réduit à quelques lignes, point de vue fixe, rythme régulier : c’est dans son plus simple appareil que ce court récit déploie la puissance de son humour. On rit en effet de cette radicalité du minimum qui s’associe au cynisme de ce pseudo-polar contre toute idée de Beauté du monde ou de ses langages. Et pourtant, de ces planches se dégage une élégance, celle d’une géométrie extrêmement construite, de la finesse d’un trait qui laisse le blanc s’exprimer, de ce flux iconique évoquant la chronophotographie, d’un jeu ternaire qui fait valser ses signes de papier.