L'histoire :
Un pirate renégat, chrétien converti à l'islam, est approché par un écrivain gentilhomme à la recherche d'un témoignage authentique, sensationnel et spectaculaire, susceptible de plaire à son public. Après tout, les pirates ne sont-ils pas les mieux placés pour parler de piraterie ? Le corsaire accepte donc de témoigner pour laisser une trace et restituer avec la vérité la plus fidèle l'esprit de la piraterie, qui pourrait être de piller les riches sous la protection de leur seul courage. Les pirates étant alors des sortes de « marins prolétaires dressés contre les lois iniques de la marine marchande des XVIIe et XVIIIe siècles ». L'homme évoque son éveil à la piraterie (une révélation !) son quotidien, ses rencontres et les dangers rencontrés, sans jamais citer de monstres marins ou d'île au trésor, au grand dam de l'écrivain qui le lui fait remarquer. L'écrivain prend tout à coup conscience, comme le journaliste en mal de scoop, qu'il faudrait peut-être embellir la réalité, assez décevante jusqu'ici... Résultat : le pirate s'invente une vie trépidante plus en phase avec les attentes de l'écrivain...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Depuis bien longtemps, Baladi avait envie de raconter une histoire de pirates. C'est lorsqu'il a lu le livre de Defoe, L'histoire générale des plus fameux pyrates qu'il a eu l'idée d'une BD sur la piraterie sous forme d'un témoignage interrogeant le rapport à la vérité. L'occasion pour lui de s'immerger dans la philosophie et le mode de vie des écumeurs de mer. Bien loin de l'épopée costumée et du spectacle sanguinaire, ce que regrette d'ailleurs l'écrivain dans la BD, Baladi singe les stéréotypes du récit de pirate : île déserte, trésor caché, monstre marin, couteau entre les dents, et livre une réflexion sur la liberté et la quête de vérité. C'est lorsque le témoignage du flibustier ne correspondra plus aux préjugés et fantasmes de l'écrivain que le dialogue deviendra impossible. La morale finale sur la tolérance religieuse se révélant toutefois assez convenue et superflue, Baladi peinant aussi dans la durée à se détacher suffisamment des clichés. Pour imager cet entretien fictif, l'auteur gonfle les voiles et creuse les visages de son trait souple et élégant en noir et blanc, varie la forme des cadres, manière pour lui d'incarner la fantasmagorie, d'authentifier le témoignage et de libérer la parole d'un pirate devenu captif, prisonnier de son corps mais encore gardien de ses rêves, certes esseulé mais maître de sa vérité. Le corps croupit en prison mais l'imaginaire teinté d'onirisme, lui, vogue sur l'eau par la force de souvenirs plus ou moins intacts. Un récit de pirate très correct, joliment mis en image, mais une impression de léger fourre-tout le rend un poil décevant. Saluons enfin la maquette soignée de l'éditeur The Hoochie Coochie (BD grand format, couverture et dos toilés).