L'histoire :
Première séquence : Cartes perforées. Six silhouettes humaines blanches représentées par un trait noir, les unes à côté des autres, au cœur d’un cadre rectangulaire formant ce que l’on pourrait appeler une case. Au-dessous, même chose, si ce n’est l’apparition d’un homme entrant par le bord droit. Troisième case, l’homme continue à avancer vers la gauche, devant les silhouettes, et laisse paraitre un câble qu’il semble tirer. Quatrième rectangle, le bord droit est entrainé par le câble et glisse vers la gauche, laissant percevoir un deuxième homme, comme caché derrière le cadre. Sur la page suivante, les actions se poursuivent, l’homme apparait tout à fait et la case se reconstruit derrière lui (à notre droite), mais dans ce nouveau cadre, les silhouettes marchent vers la gauche. Un troisième homme entre ensuite dans le champ, poussant dans sa foulée le bord gauche de ce second cadre. Le deuxième homme se baisse et tire alors le bord bas de son espace, initiant alors la montée d’une espèce de rideau noir qui va également remplir de manière progressive le corps des silhouettes en marche…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C’est sans aucun doute aux fans de Beckett et Joyce que ce livre s’adresse. Ces Séquences de Robert Varlez ont d’ailleurs pour la plupart été initialement publiées dans la revue d’avant-garde Minuit, auprès de l’auteur de Fin de Partie ainsi que de Robbe-Grillet, Vaughn-James, Peeters et autres amoureux de l’expérience formelle. C’est donc empruntes des théories structuralistes que naissent les Séquences – ici regroupées par les éditions The Hoochie Coochie créées par Robert Varlez – entre 1975 et 1979. Le titre reprend le concept de « séquence narrative » qui se définit comme une série d’états et de transformations. Ainsi, les personnages de Varlez, bien loin d’être porteurs d’une histoire, sont utilisés comme forces, formes, motifs, qui « transforment » une situation. Ils marchent, courent, tombent, poussent, s’asseyent, tournent sur eux-mêmes, avancent à cheval. Leurs mouvements sont décomposés – évoquant le cinéma, la photographie et un Nu descendant l’escalier… – dans une lenteur qui permet de jouer sur la répétition des formes, et leur changement progressif. On assiste par exemple à une belle danse graphique entre un homme et son ombre, qui finissent par se confondre. Tout de noir et blanc vêtues, les cases et leurs frontières se voient sans cesse modifiées, et comme prises dans un conflit chromatique incessant, à celui qui gagnera l’espace. Les forces contraires sont d’ailleurs au cœur de l’œuvre, qui cherche à déstabiliser nos repères. Certains personnages, sorte de « techniciens de la case», révèlent les coulisses du récit séquentiel (la BD !), dont la scénographie est mouvante et semblent régulièrement vouloir s’opposer à notre sens de lecture, déplaçant les éléments de la droite vers la gauche. Entre envahissement, partage et confusion, les formes négocient leur existence et traversent allègrement les frontières de la case. C’est donc dans l’interaction de l’espace, des personnages, des couleurs, du lecteur, que se crée le récit. Si toutes ne se valent pas, les Séquences sont une expérience graphique libératoire qui ne pourra que plaire à ceux qui aiment être perturbés.