L'histoire :
A la fin du printemps 1963, un jour comme les autres, dans les rizières vietnamiennes. La petite Linh est âgée de 13 ans, lorsque des hommes armée du Viêt-cong pénètrent dans son village pour étendre l’emprise rurale de leur mouvement. Cela se passe évidemment dans le sang… Quelques jours plus tard, à Paris, Jeannot rentre chez lui, bien décidé à profiter des premiers jours de ses grandes vacances avec l’insouciance qui caractérise son adolescence. Il est fou de joie de retrouver son père, Paul, de retour de permission plus tôt que prévu – il est médecin militaire. En plus, celui-ci vient de s’offrir un objet de luxe : un téléviseur ! Pourtant, la soirée ne se déroule pas franchement comme Jeannot l’avait prévu. Son père s’est en effet décidé de lui parler d’homme à homme. Il lui annonce qu’au lendemain de la mort de sa femme – la mère de Jeannot – il a connu une femme au Vietnam, avec laquelle il a eu une fille. Celle-ci, Linh est aujourd’hui âgée de 13 ans et étant donné la situation dans son pays, elle doit arriver à Paris le lendemain. Jeannot se sent trahi. Le lendemain, il fait connaissance de sa demi-sœur assez froidement. Linh a beau paraître toute fragile, il ne semble disposé à faire moindre effort. Son père lui annonce alors que toute la famille va descendre plus tôt que prévu dans leur village auvergnat d’origine. Jeannot est dégouté : il avait prévu d’assister à des concerts avec ses copains…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le premier tome de ce diptyque de la collection Terres d’origine dit énormément de choses. D’emblée, 5 premières planches muettes se révèlent parfaitement éloquente pour situer le contexte politique vietnamien. Puis, par contraste, la situation parisienne insouciante de Paul nous fait glisser dans une problématique familiale loin d’être évidente. Apprenant qu’il a une demi-sœur presque aussi âgée que lui, Paul se sent trahi par son père. Sa structure familiale, un socle qu’il croyait inamovible, vacille et met un coup d’arrêt brutal à son enfance. Les contraintes et petites attentions inhérentes à l’incrustation de cette dernière dans son équilibre intime, en raison de la guerre civile dans son pays, parachèvent la colère croissante qui monte en lui. La thématique forte du conflit familial se double alors d’une ambiance champêtre et estivale exquise, un doux parfum de vacances de mômes à la campagne. Pour cette recette sucrée-salée, le dessinateur VoRo (alias le québécois Vincent Rioux, déjà à l’œuvre sur Tard dans la nuit) livre sans doute son œuvre la plus aboutie, en vraie-fausse couleurs directes (crayonnés à la main, colorisation informatique). Les personnages sont très expressifs et les décors bucoliques, tout en nuances, fournissent presque les odeurs des blés coupés et le chant des grillons. Bien entendu, on se doute un peu que Jean va finir par adopter Linh, par comprendre et accepter les raisons qui ont poussé son père à lui taire cette demi-sœur… Mais on est avide de connaître par quel chemin sinueux et escarpé ce travail initiatique va pouvoir se réaliser. En tous cas, bien loin de ses récits d’action habituels, Marc Bourgne, au scénario, livre là un modèle d’équilibre narratif, d’une grande sensibilité : ses personnages sont attachants, dotés d’une véritable profondeur psychologie, le contexte historique est impeccablement campé et l’intrigue se révèle parfaitement poignante.