L'histoire :
Dans une ville futuriste des Etats-Unis, en 2060. Au terme d’une guerre civile, l’Amérique est divisée en entités autonomes. Dans la petite communauté proprette de Boney Borough, débarque un spécialiste reconnu des substances psychotropes, le professeur de botanique Paulie Panther. La raison de son arrivée : il est à la recherche d’une plante rare, aux effets encore inconnus. Personnage au profil étrange, défoncé en permanence, un peu dingue aussi, Paulie vient perturber le fragile équilibre de la ville. Il fait alors plusieurs rencontres marquantes. D’abord celle de Jem Jewel, trentenaire sexy, professeur de sciences au lycée et fantasme de tous les jeunes étudiants. Puis celle de Pearl Peach, la petite lycéenne mignonnette à la chevelure parfaite, très rebelle et semble-t-il plus mature que la moyenne. Celle-ci décide de quitter son petit ami, Billy-bob Borg. Entre expérimentations psychédéliques, consommation de plantes hallucinogènes et songes sous acides, ces personnages vont développer un quatuor amoureux, aussi dangereux que loufoque. Perdus dans les limbes de la conscience, Paulie Panther et les autres vont découvrir un monde alternatif jamais dépourvu de sentiments…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dash Shaw, figure montante de la scène indé US, s’est récemment fait remarqué pour son Bottomless Belly Button. Autant dire que son nouveau projet, à la croisée des chemins entre songe psychédélique et chronique sociale torturée, publié en feuilleton sur le net, avait de quoi éveiller notre curiosité. Dash Shaw affiche ici un réel talent graphique : ambiance psychédélique, flashy et déjantée réalisée à l’ordinateur ou conscience sous acide brossée à la peinture. L’objectif était de rendre palpable des univers sensoriels par la représentation de trips hallucinogènes. Pari formel difficile et pourtant réussi, ici. Le problème, c’est que l’on s’ennuie souvent à la lecture de Bodyworld, tant les dialogues sont anecdotiques et les séquences parfois illisibles ou incompréhensibles. La parenté formelle avec le travail de Chris Ware et son chef d’œuvre Jimmy Corrigan est (trop) évidente : format à l’italienne, deux plans de ville accompagnés d’une fiche personnage, conseils de lecture, explications, pictogrammes… C’est à la fois gênant et respectable. Gênant, car ce mimétisme formel peut révéler l’incapacité d’un auteur à être créatif. Respectable aussi, parce qu’il s’inscrit dans la veine du graphic novel moderne dont l'ambition est la recherche formelle. Dans Bodyworld, on n’atteint pourtant jamais la virtuosité narrative, ni même la force expressionniste d’un livre comme Jimmy Corrigan. Ce qui relève du génie chez Chris Ware devient un tic formel chez Dash Shaw : flèches, codes, indications à répétition (« se frotte », « se gratte », « chaud », « froid »…) alourdissent l’ensemble. A force d’insister par peur d’être incompris, Dash Shaw finit par agacer. Sans être inintéressante, loin de là, la copie reste pourtant bien en deçà du modèle. Un plaisir en demi-teinte au final. Très bel objet d’édition, d’accès difficile, Bodyworld reste plutôt une réussite sur le plan graphique, à défaut d’être totalement convaincant sur le fond. Un livre qui méritera plusieurs lectures. Les fans de Chris Ware seront sans doute déçus, les autres apprécieront à coup sûr.