L'histoire :
Russel Pruitt a treize ans quand sa mère quitte le domicile familial. Il est là, au pied du sapin de Noël, il regarde son visage déformé par le reflet des boules chromées. Dans la cuisine, ses parents hurlent. Les pleurs... Il a l'impression qu'il découvre leur voix... Quelques mois après, sa mère part avec Ollie Jackson («Action Jackson» sur le terrain de football), le meilleur ami de son père. Celui-ci décide de déménager pour aller s'installer en Californie. La guerre de Corée et un divorce, ça peut donner envie de soleil, de sable et de corps bronzés. Pour le gosse, ça sera l'occasion de rencontrer sa tante paternelle. Elle vit à Pasadena et il ne l'a jamais rencontrée. Son père va s'installer chez elle, le temps de trouver un job. Sur la route, alors qu'il ont passé une nuit dans un Motel, un petit chien perdu s'approche du môme. Le père est formel, c'est non ! Alors il repartent et c'est bien que Peter n'ait pas vu que cinq minutes après, le toutou se faisait écraser par un camion... La tante June les accueille du mieux possible mais effectivement ça ne dure pas longtemps puisque la première des choses qu'elle dit au père de Russel, quand ils arrivent, c'est qu'il doit partir à Frisco. C'est là qu'il pourra trouver du travail et se loger, le prix de l'immobilier en Californie est inabordable...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
On ne va pas y aller par quatre chemins : depuis Essex Conty, on n'avait pas lu de récit aussi fort sur l'adolescence. A ceci près que tout semble ici plus « resserré » car il n'y a pas d'autre destin narré que celui de Russel, là où le chef d’œuvre de Jeff Lemire embrassait le sort de plusieurs membres d'une même famille. David Small n'est pas aussi connu en Europe que l'auteur canadien qu'on a pris en référence, mais aux États-Unis, il est particulièrement célèbre pour ses livres pour enfants ainsi que son travail de dessinateur dans les colonnes du New-York Times ou du New-Yorker, pour ne pas citer non plus Playboy. Mais pour les lecteurs de comics et/ou BD, il est surtout l'auteur de Sutures (Stiches), son autobiographie qui fut publiée et primée il y a un peu plus de dix ans. Avec Dans la nuit noire, il nous plonge dans la violence des sentiments que vivent les adolescents, à plus forte raison quand la structure familiale part a volo. Une mère qui abandonne mari et fils au bénéfice de son bonheur, un père ex GI traumatisé par la Corée, qui va faire son possible avant lui aussi de sortir de la vie de son gosse. Quant à l'entourage de ce môme, quand les aînés ne le prennent pas comme un souffre-douleur, ce sont ses copains qui se montrent tour à tour stupides ou également violents. Russel, progressivement, devient un garçon voué à lui-même, qui ne saura pas conserver la seule amitié teintée de douceur que l'homosexualité latente de son pote va troubler... Et le seul filet de sécurité, qui ne suffira pas à lui éviter une errance semblant le destiner à une vie de clochard, le seul appui qu'il trouvera parmi les adultes se situera auprès d'immigrés chinois victimes du racisme « ordinaire » des petites villes US. Dans la nuit noire est une œuvre sans concession, brute et froide comme le sont la peine et l'abandon. Elle n'épargne ni les adultes dans leur rôle de parents, ni une société qui valorise la virilité des imbéciles et dénigre le rapport à l'étranger. Alors finalement, il est assez logique qu'elle n'épargne pas non plus le lecteur. Noir c'est noir...