L'histoire :
Un homme se découvre martien ; un couple puis tous les habitants de leur quartier sont victimes d'une tour phagocytaire ; ou bien une brève observation tragi-comique de relations de voisinage. Douze histoires indépendantes décrivant les turpitudes d'êtres perdus dans les villes. Un album au fil duquel Tom Kaczynski entreprend une réflexion sur les mœurs et l'habitat d'un animal familier : l'Homme.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Derniers tests avant l'Apocalypse est une bande dessinée particulière. Ici, le support ne sert pas tant à illustrer les diverses histoires qu'à souligner le facteur majeur qui a sans doute inspiré l'album : l'oppression exercée par notre société et surtout par notre développement urbain sur notre psyché. Si l'on devait trouver un fil rouge aux différents récits composant cet album, ce serait sans doute d'analyser quelles sont les diverses manières qu'a un être humain d'exister dans un monde qu'il n'a pas réellement composé. Ce sentiment d'impuissance ressenti par les personnages se traduit de différentes manières : l'impression de venir d'ailleurs, des pensées a priori étrangères venant d'un cerveau primal ou encore la folie pure et simple. Jusqu'à quel point peut-on, depuis le jour de notre naissance, s'adapter à une société façonnée, aussi bien physiquement que moralement, par des milliards d'individus sur plusieurs millénaires ? C'est ce point de rupture que Kaszynski s'efforce d'imaginer. Son graphisme traduit cet emprisonnement en ce sens que les rares éléments pourvus de courbes sont les êtres vivants, éléments de chair enfermés dans une jungle de cubes, rectangles et autres traits à la règle. Le dessin est austère mais pas dépouillé et l'utilisation des couleurs (chaque histoire a une couleur dominante) fait penser au tons monochromatiques des éclairages nocturnes de la ville. De même, les dialogues et les scénarios ont une vocation plus illustratrice que réellement narrative – certains dialogues faisant plus penser à des haïkus écrits avec l'idée du cloisonnement et de la rébellion en tête. C'est là que le lecteur risque malheureusement de perdre le fil. En effet, Derniers Tests Avant l'Apocalypse n'est pas un album qu'on lit le sourire aux lèvres en dégustant avec modération une bière fraîche. L'enchaînement à première vue chaotique des réflexions et des dialogues (100 000Km, la première histoire, en est une parfaite illustration) peut entraîner un décrochage complet du lecteur. Ce serait dommage car ici le médium est parfaitement employé et il parait impossible de transposer les mêmes cheminements de réflexion et la même atmosphère à un medium plus articulé comme un roman ou plus visuel comme un film. On apprécie en revanche que l'auteur se garde bien de tenir le lecteur par la main ou bien de pointer du doigt une solution, une voie. Dans le plus pur exercice philosophique, T. Kaczynski se contente de questionner nos usages et de partager sa réflexion. Et si la lecture de Derniers tests avant l'apocalypse est ardue (certains diront rébarbative), on ne peut qu'apprécier la démarche, tant on ne se sent à aucun moment incité à embrasser une cause ou un point de vue particuliers (malgré quelques frayeurs à ce sujet avec les histoires 10 000 ans et Bioéconomie qui s'avèrent clairement parodiques et délirantes). C'est avec un sentiment de malaise que l'on repose l'album – surtout si l'on vit en ville – mais aussi, et ça c'est rare, avec l'impression d'être moins bête. Et rien que pour ça, on remercie Kaczynski.