L'histoire :
À l'automne 1948, à Los Angeles, le scénariste Charlie Parish se réveille dans une baignoire avec une sacrée gueule de bois. Ses souvenirs sont confus et il ne sait pas vraiment où il se trouve. Cela a tout l'air d'être un des petits bungalows de Studio City, ceux dans lesquels les acteurs sont logés pour être au plus près des plateaux pour tourner selon les désidératas des réalisateurs ou des producteurs. Hier soir, il se rappelle avoir été à une fête, récupéré Gil Mason dans un fichu état, obtenu une faveur sexuelle d'une danseuse et marché longuement avec d'autres personnes. Alors qu'il se rince le visage, il remarque la trace de rouge à lèvres sur le miroir et la cigarette qu'il a fumé provenant d'une marque bien précise. En avançant dans la pièce voisine, il tombe sur le corps de Valeria Sommers, la vedette féminine du film dont il a la charge de l'écriture. Collant baissé et traces d'étranglement le font paniquer. Il saisit un tissu sur le sol et efface les traces de sa présence. S'il appelle les flics, il sera le coupable idéal. Il s'éclipse discrètement et rentre chez lui. Il est réveillé par Dottie, une amie qui est aussi l'attachée de presse des studios de cinéma. Elle est venue l'avertir que Valeria a été retrouvée morte. Feignant la surprise, Charlie continue de réfléchir aux nombreux trous qui émaillent sa mémoire. Il est convoqué par Phil Brodsky, le chef de la sécurité, qui veut faire le point avec lui. Il exige de Charlie qu'à aucun moment il ne dise à quelqu'un que l'actrice était à la fête d'Earl Rath, un jeune premier qui organisait souvent de véritables orgies chez lui. Le scénariste ne comprend pas et profite d'un instant où Brodsky sort pour ouvrir le dossier sur son bureau. Valeria se serait pendue. Charlie sait que ce n'est pas vrai, mais qui aurait intérêt à camoufler la vérité ? Et pourquoi ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le fondu au noir est une technique cinématographique symbolisant une transition entre deux plans via un plan entièrement noir. C'est aussi le titre choisi par les éditions Delcourt pour la version française de The Fade Out, une des dernières collaborations du scénariste Ed Brubaker, du dessinateur Sean Phillips et de la coloriste Elizabeth Breitweiser, après les excellentissimes Criminal ou Fatale. Le présent album contient l'intégralité des 12 épisodes parus. Nous sommes au lendemain de la seconde guerre mondiale en 1948 à Hollywood. Entre le maccarthysme, la ségrégation et les traumatismes liés au conflit, Ed Brubaker choisit une période propice pour raconter un polar toujours aussi racé. Son héros principal, un scénariste, va découvrir le cadavre d'une actrice chez laquelle il cuvait sa forte consommation d'alcool. Effaçant toutes traces de son passage, il va alors assister à une mise en scène faisant croire que le meurtre de la starlette est un suicide. De là, va débuter une investigation qui va nous présenter une industrie du cinéma gangrené par les guerres d’ego, les machinations et les sombres histoires de violence ou de sexe. Les puissants se protègent et abusent des plus faibles ou de celles et ceux qui espèrent un jour devenir célèbres. Ed Brubaker livre un récit à la mécanique narrative redoutable. On plonge sans problème dans cette Amérique moins glamour que celle que les films nous montrent, auprès de personnages tout sauf manichéens. Le héros Charlie Parish a beau être scénariste, il souffre de graves traumas des suites de la guerre. Son ami Gil Mason figure parmi les bannis accusés de communisme. Les femmes sont bien évidemment fatales et cachent une multitude de secrets. Fondu au noir pourrait parfaitement être un roman de James Ellroy que l'on n'y verrait que du feu. Prenant place dans la sphère du 7e art, le récit cultive les allusions et autres clins d'œil plus ou moins appuyés au genre avec une réussite certaine. Le découpage et les planches de Sean Phillips se montrent aussi d'une efficacité redoutable. On voyage d'une case à l'autre, transporté dans une bande dessinée aux allures de salle de cinéma. La colorisation d'Elizabeth Breitweiser enrichit chaque page de teintes ad hoc et imposant à sa manière une atmosphère envoûtante. Fondu au noir a pris le temps d'arriver dans nos contrées mais se drape de ses plus beaux atouts : une belle édition, une histoire racée et un visuel époustouflant. Incontournable.