L'histoire :
Il fait encore nuit, ce matin là, lorsque Mendleman se lève et se prépare à partir, en silence. C'est en effet jour de marché dans ce coin de campagne de l'Europe de l'est, au début du XXe siècle. Sa mule tire une carriole pleine des 8 tapis qu'il a savamment et patiemment tissés. Il sait son labeur de qualité : pas moins de 16 mailles par pouce... Mais il sait aussi que les temps sont difficiles et qu'il va peut-être peiner pour les vendre. Tout du long de la route campagnarde qui le sépare de la ville, il est rongé par diverses angoisses. Sa femme Rachel est enceinte, il craint de ne jamais la revoir ; ou si lui meurt subitement, que deviendrait leur enfant ? Il chasse ces idées négatives en comptant compulsivement le nombre de ses pas. Il imagine aussi diverses manière de traduire l'aube naissante dans le motif d'un futur tapis. Son arrivée en ville le rassérène : il aime cette foule paisible qui se met en place, les odeurs qui se mêlent, l'impression d'abondance qui se dégage des étales bien garnis. Les enfants jouent, les ragots s'échangent... Il croise quelques connaissances et se rend chez son grossiste habituel, Monsieur Finkler. Surprise : Finkler a pris sa retraite et le successeur n'est guère disposé à lui acheter ses tapis...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Evidemment, le coeur du sujet de ce roman graphique n'est a priori pas du style à soulever un enthousiasme débridé. Peu de lecteur avoue en effet, d'emblée, se passionner pour les tisseurs juifs d'Europe de l'est au début du XXe siècle. Au delà de la chronique sociale, du témoignage historique, James Sturm illustre néanmoins la petite histoire qui fait la Grande, à travers une admirable et fine démonstration d'une mutation sociale et économique. Lente et paisible, la narration se fait majoritairement en voix-off, à travers les pensées du héros, aussi explicites sur son état d'esprit que sur son contexte. Ce modeste tisseur de tapis, plus rêveur que battant, se sent dépassé et se fait dépasser par la marche du monde. On le découvre particulièrement vulnérable, au vent, aux forces humaines extérieures, mais aussi à lui-même, tiraillé à chaque moment par ses propres angoisses. Il est la feuille morte balayée par la tempête, l'artiste tout autant que l'artisan qui subit et s'éteint en silence. Les encrages appuyés sont tantôt contemplatifs, tantôt économes, mais toujours justes et fluides. Ils s'inscrivent dans un découpage ad hoc, qui peut aussi bien réserver une double page pour un seul plan gigantesque et contemplatif, que de délivrer une séquence au long d'un gaufrier régulier de 12 cases par planche. La colorisation est aussi terne que la vie de cette petite communauté semble austère, à l'époque.