L'histoire :
Lors de la guerre de 14-18, la Grande Guerre, des femmes et des hommes victimes d'armes chimiques et radioactives, sortes de mutants inédits, se sont retrouvés dotés de pouvoirs surpuissants nés "dans le souffle des gaz et des armes à rayons X". Le temps fait son oeuvre jusqu'en septembre 1938. Le docteur Mabuse, un maître-hypnotiseur dirigeant l’armée des Crânes, invite les surhommes à Métropolis, car il voit en eux l'avant-garde d'une race supérieure appelée à dominer le monde. Métropolis est quant à elle le projet secret du docteur M, la future capitale des surhommes. Irène Joliot-Curie s’y rend également, mais comme agent secret : elle est infiltrée par le biais de Nous autres, une organisation apparue à la mort du mage Raspoutine. Elle pénètre alors la cité revêtue d'un mécanoïde, armure équipée d'amplificateurs cinétiques très performants. Dans la salle de réunion pavoisée de croix gammées, la fille de Marie Curie constate que de nombreux super-héros ont répondu présents à l’invitation : la Phalange, Nyctalope ou encore l’Accélérateur. Alors que les convives discutent, Mabuse apparaît et débute son discours. Dès ses premiers mots, les invités comprennent que celui-ci a l'ambition de transformer le monde à jamais sous couvert de progrès scientifique. Un monde exposé aux armes chimiques et autres bombes A…Mais la Brigade Chimérique veille sur la France...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Parus entre août 2009 et octobre 2010, les six tomes de "La Brigade Chimérique" avaient produit leur petit effet. Pour la première fois depuis longtemps, deux auteurs français, Serge Lehman et Fabrice Colin, osaient s'attaquer au mythe du super-héros. Moins pour proposer un ersatz frelaté de Superman que pour en retracer la généalogie européenne et tenter d'interroger la seule question qui vaille : "Pourquoi n'y a-t-il plus de super-héros en Europe ?" Un peu l'équivalent français de Watchmen ou de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires si vous voulez. Les scénaristes ont mélangé les genres (psychologie, philosophie, Histoire, politique, physique quantique, science), personnages réels et fictifs ayant de fortes ressemblances (la famille Curie, Docteur Mabuse, Nyctalope, grandes figures recyclées de la littérature européenne), et truffé leur récit de références (Kafka et Samsa, Nietzsche et le surhomme, Freud et l'inconscient, Eisenstein et son cuirassée...) sans jamais perdre pour autant le lecteur. Le tout à la veille de la Seconde Guerre mondiale et de l'offensive nazie, dans des décors fantasmagoriques ancrés dans l'Histoire réelle. Mais La Brigade n'est pas seulement un récit hommage, c'est aussi une fiction autonome qui décline une foule de questionnements féconds : quid du statut des surhommes et de leur pouvoir ? Jouets dangereux ou avancées scientifiques au service du progrès universel ? Cette recherche narrative parfois bavarde, rythmant un récit très (trop?) référencé, bride sans doute un peu la fluidité de l'histoire et peut la rendre difficile d'accès. Mais l'inventivité, l'originalité et l'ambition sont telles qu'on ne peut que s'incliner. Quant au dessin, il porte le propos dans une veine comics très efficace : lisible et dynamique, puissamment évocateur. Au final, dans une intégrale plus grande que le format d'origine, augmentée de bonus, de croquis et d'un livret explicatif, voilà un croisement audacieux entre les feuilletons des années 30 et les récits de super-héros à l'américaine, la portée analytique en plus (comme chez Alan Moore). Où la science des Curie s'oppose à la folie destructrice de M, le communisme au nazisme...Un feuilleton SF passionnant qui vous dira tout sur l'absence de super-héros en Europe après la Seconde Guerre mondiale. A ne pas manquer.