L'histoire :
Le rêve américain passe forcément par la Californie. Los Angeles, la plage, Venice Beach. Les surfeurs, les jolies filles bronzées. Voilà pour le cliché. Mais il existe un envers du décor bien moins idyllique. Eddie Quinones a vécu toute sa vie à Venice Beach. Il en connaît l'histoire de sa fondation, il en connaît chaque rue, chaque maison et presque tout le monde. Enfin, presque tout le monde «de la rue», parce qu'il est devenu un clochard. Un de ces poivrots d'origine mexicaine qui ne colle pas vraiment à l'image de carte postale de l'océan, attirant les classes les plus aisées. Alors il observe d'un œil acerbe et voilé par l'alcool l'arrivée de jeunes cadres qui installent leurs start-up en ville. Son quotidien, il le partage avec un vieux pote de boisson, BF Bob. Quand il ne dort pas dans la rue, il squatte de temps à autre son camping car vétuste et non roulant depuis des lustres. Ce soir, il crève la dalle alors il fait les poubelles. En ouvrant un container, il découvre le corps d'une jeune fille et de son chien. Tous deux ont été égorgés. Elle s'appelait Tessa et c'était une môme d'à peine vingt ans, débarquée il y a peu de temps de l'Utah. Il l'a croisée l'après-midi même, elle avait l'air complètement perchée. On dit aussi qu'elle était schizo et que son mec, surnommé Birmingham, est en fuite. Le type en question est repérable car il a un tatouage nazi sur le cou. Pour Eddie, la découverte du cadavre est un choc et il va faire sa propre enquête. Il sait que les flics se foutent des toxicos ou des zonards retrouvés froids. Mais qui peut croire une épave comme lui ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Joshua Dysart est loin d'être un scénariste dont les créations se cantonnent à enrichir l'univers Valiant. L'auteur américain a bourlingué, d'Amérique du Sud en passant par l'Afrique où il a effectué des missions caritatives pour l'ONU, dont il témoigne en quelque sorte avec UN3. Il a, avec cet album-là, collaboré avec Alberto Ponticelli, après que tous deux aient signé un remarquable run du Soldat inconnu, dont le théâtre se situait également en Afrique. Fin observateur des mœurs et des phénomènes sociaux, il délivre ici un polar totalement atypique, puisque son personnage central est un clochard au bout du rouleau. Alors qu'on ne s'y trompe pas, ce thriller extrêmement angoissant est pour lui l'occasion d'écorner sérieusement le fameux rêve américain. Le scénariste vit à Los Angeles donc il maîtrise parfaitement le sujet dont il parle en mettant en lumière toute une partie de la population marginalisée, parce que pauvre à l'extrême. Quant à Alberto Ponticelli, il dessine les rues les plus glauques qu'on puisse imaginer, tout en y amenant une touche qu'on devine comme étant malheureusement très réaliste. Ses portraits retranscrivent la lassitude extrême de ceux qui vivent dans la rue, la crasse aussi, sans parler du désespoir des toxicos et de la violence de la rue. Un autre point qu'on ne peut que souligner est la capacité de cette histoire à traduire les troubles psychiques qui frappent l'immense majorité des «marginaux». Alors qu'on n'interprète pas mal notre propos : il s'agit bel et bien d'un polar, mais il est encore plus noir que le genre qu'il sert car il transpire aussi l'observation sociologique, jamais loin d'un propos politique. On conclura tout simplement par ce qui nous a paru comme une évidence : ce livre est unique en son genre et on vous livre aussi notre témoignage de lecteur : cela fait des années qu'un récit indé ne nous a pas impressionné de la sorte, par son originalité et la brutalité de son histoire qui renvoie à celle de la réalité. Celle que l'on cache, partout où l'on nous fait miroiter du rêve...