L'histoire :
Dans un hôtel minable à Brooklyn, l’agent fédéral Aldo Sax surveille la rue et se renseigne sur un club mal famé : le club Zothique. Le quartier est crasseux et le tout sent les embrouilles. Sa voisine de pallier, Germaine, est une schizophrène qui hurle dans la nuit et raconte ses effroyables cauchemars en parlant toute seule. L’agent est lui-même un flic très spécial : recruté par Carl Perlman, il enquête sur des histoires étranges et non élucidées. Il appelle d’ailleurs cela la théorie des anomalies : rechercher le petit grain de sable que personne ne remarque pour comprendre finalement qu’il se cache quelque chose de pas net. Cette fois, il doit résoudre une bien sinistre affaire : treize meurtres identiques avec des corps sauvagement découpés et de la même façon. L’anomalie est pourtant de taille : il ne s’agit pas du même tueur et les meurtriers, qui ont pourtant le même mode opératoire, ne se connaissent pas du tout ! Sax a du travail pour rassembler les différentes pièces de ce puzzle sombre et opaque. Et cela commence par une visite nocturne au club Zothique…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Urban Comics publie l'un des nouveaux projet d’Alan Moore dans une intégrale bienvenue. Le maître britannique s’attaque cette fois à un monument des romans fantastiques et d’horreur : le mythe de Cthulhu du célèbre H. P. Lovecraft. Le récit est divisé en trois parties ajoutées d’un long prologue. Tous les fans (nombreux) de l’univers horrifique de Lovecraft (qui plonge la Terre dans une profonde tourmente avec la présence insidieuse d’horribles créatures au service de Grands Anciens ou de Dieux machiavéliques) seront ravis de retrouver les grandes lignes des romans lovecraftiens. Le titre fait bien-sûr référence au célèbre Nécronomicon, livre fictif et sacré qui contiendrait de nombreuses révélations sur le mythe Cthulhu. Moore y multiplie les allusions directes ou érudites : les titres de chapitres qui sont autant de réécriture des titres de livres de Lovecraft ; la présence du terrible Nyarlathotep, Dagon l’habitant des mers, le langage des Profonds… il y a même un dealer qui vend un «cocktail d’Insmouth » ! Alan Moore se paie également le luxe de faire des analyses littéraires poussées à travers les recherches de ses personnages ! Cependant, il ne s’agit pas d’une énième adaptation d’un des récits terrifiants de Lovecraft mais bien d’une reprise toute personnelle du mythe. En effet, Moore situe son intrigue dans le monde d’aujourd’hui et en profite pour flinguer notre société. Les critiques sont terribles et acerbes : les hippies sont des rêveurs dangereux, les gothiques des sauvages dégénérés et les sectaires des maniaques sans âme. L’occasion de retrouver également des thèmes chers au scénariste anglais : la magie, l’horreur, le fantastique et la drogue… A ce titre, on reconnaît parfaitement l’écriture du génie d’Alan Moore dans le prologue avec la voix off de Sax profondément ironique, dans un style jubilatoire. Malheureusement, l’histoire tourne très vite au malsain et les textes se font de moins en moins fins. Moore s’amuse à rendre l’univers de Lovecraft trash et encore plus sombre qu’il ne l’est. De plus, il insiste lourdement sur l’aspect sexuel et crasseux des monstres, offrant quelques scènes quasi insoutenables. Le parti pris est profondément moderne et le tout a finalement un sens (affreux d’ailleurs) mais on frôle vraiment le mauvais goût. Peut être l'adaptation d'Anthony Johnston sur le récit initial de Moore y est pour quelque chose... Le prologue était pourtant un petit bijou à lui tout seul et rendait un sublime hommage à l’écriture de Lovecraft. Le dessin de Jacen Burrows est efficace avec des couleurs qui dépeignent bien l’univers putride de la série. Il a même rajouté des planches représentant les créatures les plus célèbres de Lovecraft. Alan Moore ressuscite le mythe de Cthulhu de façon très personnelle : « N'est pas mort ce qui à jamais dort, Et au cours des siècles peut mourir même la Mort ».