L'histoire :
Nous sommes en 1985 aux Etats Unis, Nixon est toujours président, Les américains sont sortis vainqueurs de la guerre du Vietnam grâce au Docteur Manhattan et un homme est retrouvé mort après avoir été défénestré du haut de son immeuble. Cet homme est Le Comédien, ancien membre des Minutemen, une alliance de vigilante ayant sévi dans les années 40 avant d’être dissoute. Rorschach, membre lui des Watchmen, autre bande récente de super-héros également dissoute, mène l’enquête sur ce meurtre qui laisse en présager d’autres sur les autres super héros qui composaient les Watchmen. A cette occasion, Rorsarch va retrouver le Dr Manhattan, homme devenu une sorte de demi dieu atomique suite à un accident, Le spectre soyeux, fille du précédent Spectre Soyeux, Le Hibou et enfin Ozymandias, l’homme le plus intelligent du monde. Au fil de l’enquête, on en apprendra plus sur le passé trouble de chacun mais aussi de celui de leurs prédécesseurs les Minutemen, plus intimement liés aux Watchmen qu’on ne pouvait l’imaginer.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cette œuvre phare de la fin des années 80 a obtenu le statut de chef d’œuvre du comics et de l’art de la bande dessinée en général, le tout grâce à ses auteurs et notamment Alan Moore, scénariste et écrivain à l’origine de nombreux comics incontournables (V pour Vendetta, Swamp Thing, From Hell entre autres). La fin des années 80 voit la naissance de maisons d’éditions indépendantes comme Dark Horse ou bientôt Image Comics mais elle marque aussi un passage du comics vers l’âge adulte avec la sortie conjointe du Dark Knight Returns de Franck Miller qui déconstruit l’image des super héros positifs et propres sur eux et proposent au contraire une réflexion sur la violence, la justice et la morale dans ce contexte de surpuissance du soft power américain sous la présidence Ronald Reagan. Comme évoqué dans la critique de L’escadron Suprême, les auteurs du comics s’interrogent sur la légitimité de ces super-héros et Moore décide dans Watchmen de justement proposer non pas des personnes ayant des pouvoirs particuliers, mais de simples vigilante auto-proclamés qui font œuvre de justice en s’y soustrayant eux-mêmes. Ainsi au fil du récit qui ne cesse de naviguer entre l’enquête de Rorschach sur le meurtre du comédien et le souvenir des Minutemen, l’apparente idéalisation de ces super héros s’effondre et ne rend compte que d’une société violente qui a engendré des monstres. Mais au-delà de cette réflexion morale, ce qui frappe à l’issue de cette lecture est l’incroyable mise en forme imaginée par Moore et Gibbons. Le format de narration qui n’usurpe pas lui l’appellation de roman graphique, est pensé dans les moindres détails que ce soient avec les couvertures de fin de chapitres dont l’aiguille de l’horloge approche de minuit ou encore les documents d’archives (journaux intimes, rapports psychiatriques, extraits de journaux) insérés également entre chaque chapitre, qui ne font pas avancer l’intrigue principale mais qui en éclaire l’ensemble. A première vue, le dessin ligne claire de Dave Gibbons pourrait décourager mais qu’on ne s’y’ trompe pas, le découpage en gaufrier, la mise en scène cinématographique et les choix de cadrage de chaque case font de chaque planche un petit bijou bourrés de détails. Quand on apprend que le chapitre 5 « Terrible symétrie » est construit entièrement en miroir, on ne peut que rester pantois devant le travail fourni. Saluons également la traduction de Jean-Patrick Manchette, auteur de polar star des années 80 qui a œuvré à la demande de son fils le réalisateur Doug Headline et premier éditeur des Watchmen en France. Son style rugueux et cynique colle parfaitement aux pensées de personnages ambigus comme Rorschach ou Le Comédien. Très bonne initiative de la part d’Urban Comics de ressortir Watchmen pour un prix modique même si le petit format est le seul défaut de cette édition car cela rend la lecture éprouvante. Pour ceux qui n’auraient vu que l’adaptation de Zach Snyder (très honorable mais dont l’ironie du comics est absente) ou encore la formidable série de Damon Lindelof, on ne peut que vous conseiller de plonger dans le comics original qui mérite toujours son statut de chef d’œuvre du genre.
