Arrivé dans le 9e art avec le polar historique Galata (co-scénarisé par Fred le Berre), le romancier Alain Paris ne le quitte plus ! Il scénarise à présent le second épisode d'Antarcidès, une aventure d’« historic-fantasy » prévue en 5 tomes se passant en Antarctique (!) bien avant notre ère, adapté d’un précédent roman. D’autres projets devraient bientôt voir le jour : La porte d’Ishtar, Salammbô, La fondation… Il nous convie à une petite visite en images, pleine de scoops et d'inédits...
interview Bande dessinée
Alain Paris
Bonjour Alain Paris ! Pour commencer, une question bateau : peux-tu nous faire une brève présentation de toi-même ? Ta vie, ton œuvre, comment en es-tu arrivé à « faire de la BD » ?
Alain Paris : Je suis né en 1947, ce qui fait de moi un fossile vivant, une sorte de cœlacanthe de la littérature d'imagination. J’ai 4 enfants de 33 à 17 ans et pour le moment 3 petits enfants. J’ai travaillé dans l’Education Nationale, comme enseignant spécialisé (Maître E pour les initiés). Les dernières années furent les plus intéressantes avec des ateliers d’écriture (SF, fantastique et fantasy le plus souvent). Anecdote : mes élèves lisaient Bilbo le Hobbit et Harry Potter des années avant leur célébrité. Puis j’ai cessé d’enseigner, mais je retourne parfois dans les classes pour parler BD (ce qui permet aux profs de se reposer une heure ou deux). Et pour expliquer ce qu’est un scénariste (« Vous écrivez des rigolades dans les bulles ? C’est un métier, ça ? Et on vous paie, en plus ? »). Sûr qu’on me paie. Mais c’est pour moi un plaisir sans mélange. Je n’ai lu que des « illustrés » à une époque où en lire faisait de vous un neuneu analphabète et parfois un assassin de vieilles dames. Tous les maux venaient des illustrés (plus tard de la SF – je cumulais les handicaps). Ma mère, brave ouvrière, m’interdisait ce genre de lecture en période scolaire. Il fallait attendre la remise des prix (la veilel du 14 juillet) pour me jeter sur Kit Carson, Buck John,Garry, Battler Britton, etc… Je n’ai aucune culture BD, seulement des souvenirs de héros qui m’ont marqué : Le petit Duc, Blek le Roc, Pepito, Tartine Mariol, Moustache et Trottinette, Erik le Viking, Prince Valiant. Comme je collectionnais les petits soldats Starlux, je jouais des heures durant mes lectures et mes films favoris (westerns ou peplums) avec mes voisins également convertis. Les années ont passé, j’ai écrit des romans, des nouvelles, Internet est apparu, j’ai vu un dessin qui m’a fait penser à mon cycle de la Terre Creuse et j’ai envoyé un mot au dessinateur. François Miville-Deschênes m’a répondu, et de fil en aiguille, m’a proposé de dire un mot aux Humanos pour lesquels il commençait une série intitulée Millénaire. J’ai écrit pour me présenter, et la réponse est arrivée, signée Bruno Lecigne, directeur littéraire aux Humanos. « L’intelligence au service de l’imagination » avait dit de lui Alain Dorémieux, rédac-chef de la revue Fiction. Vingt ans plus tôt, j’avais écrit Chasseur d’Ombres pour sa collection publiée chez Plasma, Le Cycle des Chimères. Je m’étais bien amusé à écrire ce roman en 14 jours (et pas mal de nuits que je commençais avec un poker ou un tarot à la Combelle, en pays minier, pour finir devant une Olivetti à boule (assez bruyante). De 1979 à 2002, j’ai écrit plus de 50 titres en m’efforçant chaque fois :
1/ de me risquer en terrain inconnu
2/ d’écrire un bon bouquin
3/ d’apprendre de nouvelles techniques d’écriture
L’inspiration ne me quittait jamais. Pour la bonne raison que je flaire les trouvailles et, sans même savoir quand elles me serviront, j’achète. Exemple le plus flagrant : en 1964, je découpe un article dans Science & Vie, en 1984 j’en tire Les Chroniques d’Antarcie et en 2004 je les adapte en BD sous le titre Antarcidès.
Ta biographie nous a appris que tu avais publié près de 50 romans dans des genres très divers. Comment te vient ton inspiration ?
Alain Paris : J’ai laissé tomber le roman pour la BD, d’abord parc que mes 3 derniers romans (historiques) ont bouffé 12 années de ma vie, sans m’apporter aucune récompense pour ce travail de titan. Aucune, ai-je écrit ? Erreur grossière qui m’apparaît : Ogier de Mercoeur, gentilhomme auvergnat, traverse l’existence du sultan dans Le dernier rêve de Soliman (traduit en turc et en grec) et la documentation amassée pour écrire Moi, Sémiramis, reine de Babylone me permet d’écrire un roman pour la jeunesse (Le Sorcier de Babylone, chez Milan junior), une nouvelle lauréate Seul les Dieux, de participer à une émission radio pour la SUISSE, et de travailler sur une adaptation BD La Porte d’Ishtar. A signaler : le roman a été traduit en Grèce, en Turquie et en Ukraine.
Côté BD, tu as définitivement signé chez les Humanos ? Pourquoi les Humanos ?
Alain Paris : A part un thriller BD commandé par Albin Michel BD (j’ai publié 2 thrillers en Special Suspense), je travaille exclusivement pour les Humanos.
1/ Parce qu’ils sont des professionnels qui savent de quoi ils parlent
2/ Parce que pour moi entrer chez Les Humanoïdes Associés, c’est entrer dans l’histoire de la BD, et j’en suis pas peu fier.
3/ A moins qu’ils ne me jettent dehors, je suis leur homme-lige ad vitam aeternam.
Je suis en mauvaise santé et au tout début de mon entrée chez les Humanos, j’ai expliqué à Bruno que je ne me déplacerai sans doute jamais. Il m’a répondu que se serait sympa de se voir, mais on peut très bien faire sans, aucun problème. On s’est rencontré à Angoulême 2006, j’ai rencontré d’autres Humanos, j’ai cassé la croûte avec Fabien Nury, pris un café avec Le Berre, serré des mains et fait des bises. Ils sont comme une famille, des gens talentueux, sans prétention.
Comment se passe la collaboration narrative avec Fred Le Berre sur Galata ? Quelle est la répartition des tâches ? Comment Stefano Palumbo s’y prend t-il pour illustrer votre scénario ?
Alain Paris : Je suis le papa d’Ogier, Fred est son tonton, c’est une chose tacitement entendue depuis le départ. J’ai créé le personnage d’Ogier pour mon roman Le Dernier Rêve de Soliman, tel qu’en lui-même il est dans la série Galata : violent, entêté, cabochard, courageux, fidèle à la parole donnée, borné, la tête près du bonnet. « Sans peur donc mais non sans reproche » pourrait être la devise de ce contemporain de Bayard. La collaboration Paris-Le Berre repose, cas certainement unique dans l’histoire littéraire, sur une totale absence d’organisation. En gros, je raconte ce qui va se passer au long de l’histoire puis lorsque je ne sais plus trop quoi inventer, je m’arrête. Fred lit, se gratte l’occiput et ajoute quelques éléments à connotation « polar » pour faire plaisir à Bruno.
La série Galata se terminera-t-elle définitivement avec le tome 3, Les Pierres de l’exemple ?
Alain Paris : Au départ, on avait prévu une enquête à boucler en deux tomes. On boucle… mais Bruno proteste : deux tomes ne suffisent pas pour installer nos personnages. Tripes du diable ! Comme dit Ogier, on se retrouve avec le début du tome 2 et la fin du tome 3. Pendant que Fred complétait le puzzle, j’écrivais la prochaine enquête… sept ou huit versions plus tard, j’ai passé mon histoire à Fred qui m’a rendu un séquentiel pour deux prochains tomes. Rien qu’en lisant, je VOYAIS les scènes, je sentais les odeurs, j’entendais les répliques. J’ai découpé-dialogué le premier tome, Fred ajoute quelques épices, épaissit ou allonge une sauce, et d’ici l’été, Stefano aura commencé le dessin de Galata tome 4 : L’Ange de Tolède en attendant de travailler sur – ce n’est pas une blague, au contraire c’est très sérieux - L’Aérocypédiste du Bosphore ! Ogier, c’est un mélange de Nick Nolte et de Lino Ventura.
J’espère que Galata se poursuivra longtemps. J’ai pour habitude de livrer un scénario « clefs en main », c'est-à-dire accompagné de la doc iconographique et parfois de textes, le tout sur un CD. Je sais que les dessinateurs vont sur Internet chercher la documentation, mais j’ai moi-même accumulé des tas de bouquins et je crois, comme Flaubert, que pour bien connaître son sujet, il faut en être bourré jusqu’à la gueule ! En parlant de Flaubert, justement, j’ai commencé l’adaptation ultra réaliste du roman Salammbô, avec Stefano au dessin. C’est un projet de très longue haleine.
Quid de la Porte d’Ishtar, polar historique normalement prévu pour la collection Dédale ?
Alain Paris : Je crois que les 2 tomes de La Porte d’Ishtar sortiront enfin cette année, sur un scénario particulièrement ingénieux ! Et maintenant un scoop : Simon Dupuis continuera la série avec des enquêtes sur un tome. On y retrouvera notre enquêtrice Taliya plus mûre de 8 ans (enquêtes sur 2 tomes).
Comment abordes-tu la construction de ces enquêtes historiques ? Tu cherches en priorité la période idoine à un mécanisme policier donné, ou tentes-tu de trouver des énigmes à une époque qui t’intéresse ?
Alain Paris : Pour répondre à ta question : j’ai choisi les cités Istanbul et Babylone parce que je les avais étudiées en écrivant mes romans historiques, et pour ce qui concerne Babylone, je cherche ensuite quels crimes pouvaient y être commis, les mobiles parfois très étranges. Babylone, c’est l’ailleurs absolu et en même temps, des notions modernes comme « Les Fils bien nés », une association de gros richards qui plaçaient leur fortune dans des caravanes ou des guerres… il y avait trois sortes de prison, une police (« Les Yeux et les Oreilles ») qui enquêtait sur les rêves des citoyens !
Parlons à présent d’Antarcidès : comment a germé cette histoire ? Est-ce la pure adaptation des Chroniques de l’Antarcie publiées dans les années 80 ?
Alain Paris : Les Humanos me demandaient d’adapter une série, et j’avais proposé Pangée (3 romans) ou La Terre Creuse (10 romans)… mais Bruno a flashé sur Antarcidès. L’Héroïc-fantasy, ai-je dit, ça court les rues, on ne voit que ça. Si on veut se distinguer des autres cycles, a répondu Bruno, il nous faut un graphisme artistique… et il y a justement un dossier sur mon bureau. Il m’a envoyé les planches finalisées en couleurs directes, et c’est ainsi que ma collaboration avec Valérian « Nosferatu » Taramon a commencé.
Comment se passe la collaboration avec Val Taramon ?
Alain Paris : J’ai un caractère expansif, je suis plutôt extraverti, et Val est mon parfait contraire. Il me répond une fois sur dix, mais aux 9 autres courriers il prête une extrême attention, et son découpage colle parfaitement à mon scénario. Un graphisme artistique qui prend toute son ampleur à mesure qu’avance la série… et un scénario qui est parti de la plus grande simplicité pour développer d’étonnantes révélations à mesure que l’action avance.
Y a-t-il à l’origine de cette histoire, un rapport avec la carte de Piri Reis ?
Alain Paris : Les portulans de Piri Reis avaient fat l’objet d’un article de Sciences & Vie au début des années 60 : j’ai acheté le numéro et découpé l’article qui a dormi plus de 20 ans avant de servir pour les Chroniques d’Antarcie puis Antarcidès.
Selon toi, une vie humaine en Antarctique est-elle une hypothèse crédible de notre passé ? Penses-tu que le royaume d’Atlantide a existé ?
Alain Paris : Pourquoi pas ? Le tsunami du 26 décembre 2005 a affecté de quelques dixièmes de degré l’inclinaison de la Terre. Je crois que l’Atlantide a existé et qu’il a subi un tsunami gigantesque (une météorite frappant la surface de l’océan Atlantique ou Pacifique soulèverait un mur liquide haut de 60 à 400 mètres !!!) Le tsunami a affecté l’inclinaison de la Terre de plusieurs degrés… et des continents entiers ont changé de statut, passant de tropicaux à tempérés, et de tempérés à polaires. Et j’ai lu récemment que les Russes croient à l’existence de lacs d’eau douce deux cent mètres ou 2 km sous la glace. Restons humbles devant les forces de la nature : l’homme n’est peut-être qu'un invité qui s’est attardé.
La proximité avec le schéma classique des tragédies grecques est-elle un axe de travail que tu as emprunté ? (Antarcidès est une tragédie familiale, au sommet du pouvoir, prévue en 5 actes…)
Alain Paris : Antarcidès est un récit d’Historic-Fantasy. Où un bâtard condamné à mort laisse d’abord dans son sillage plaintes et désolation, puis décide d’affronter celui qui a sauvé sa vie lorsqu’elle était menacée. Jaemon est le personnage principal de la série, mais pour moi, le véritable héros est Duann ap Carnghill, le « grand frère » d’adoption. Je préfère ne pas en révéler plus. Voilà quelques semaines, j’ai envoyé le découpage dialogué du tome 4 aux Humanos. Bruno Lecigne a lu et sa réponse récompensait mes efforts pour donner à Antarcidès son cachet très particulier. Cinq tomes sont prévus, pas un de plus, et le talent de Val (j’estime qu’il devrait d’ici quelques années se positionner sans aucun problème au niveau d’un Rosinski) explosera d’ici là. C’est pour moi une certitude. Prochain épisode, tome 3 : La Corde d’Or sortira d’ici septembre.
Quel est l’apport de Val Taramon dans la construction narrative de cette histoire ?
Alain Paris : Val ne participe pas à la construction narrative, pas pour le moment. Il aura son mot à dire pour le tome 5, lorsque s’accompliront les destins.
Quels sont tes autres projets ? Dans d’autres genres ? Quoi, comment, avec qui ? On veut des scoops ! :-)
Alain Paris : D’autres projets, j’en ai. Outre l’adaptation déjà mentionnée de Salammbô, avec Stefano, je réfléchis à une histoire en 3 tomes, Captain’Jack (années 1895 à 1900, aventures et piraterie dans l’Océan Indien) que je scénariserai en collaboration avec une ravissante Réunionnaise. Je cherche d'ores et déjà un dessinateur.
Autre projet à l’étude chez les Humanos : Space legion, une série fleuve (je ne plaisante pas !). Sans-doute va-t-il être exploité par le secteur Manga…
A part ça, je garde sous le coude d’autres adaptations possibles de mes romans : Pangée, La Terre Creuse. Je me suis frotté aux gags en une planche, sans trop de bonheur. Et puis j’ai de gros soucis pour La Fondation, un excellent thriller scénarisé pour Albin Michel BD, dessinée par Philippe Hooghe, et qui ne verra peut-être jamais les rayons des libraires...
Si tu étais un bédien (un habitant de la planète BD !), quelles seraient les BD que tu aurais envie de faire découvrir aux terriens ?
Alain Paris : Si j’étais un Bédien je proposerai aux Terriens : Parker & Badger de Cuadrado, que j'ai découvert récemment dans Spirou (à pleurer de rire), Borgia (Jodorowsky/Manara) et Millénaire (Nolane/Miville-Deschênes).
Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d’un autre auteur de BD, quel serait celui (ou celle) chez qui tu élirais domicile ?
Alain Paris : Je me téléporterais dans le crâne de Monsieur André Juillard car il a vraiment la grande classe.
Merci Alain !