interview Bande dessinée

Bouss

©Le cycliste édition 2006

Parmi les auteurs qui explorent les profondeurs de l’âme, il y a maintenant Bouss, qui hisse son propos aux confins du genre humain. Ascensions, dont le premier tome, La structure-monde, n’est pas passé inaperçu (du moins à votre site BD préféré), s’annonce comme une série très personnelle mais d’une portée universelle. Que tous les terriens qui souhaitent en apprendre un peu plus sur eux et les grands mystères de l’univers, se penchent sans tarder sur cette interview enregistrée à Angoulême (2006). Une exclue !

Réalisée en lien avec l'album Ascensions T1
Lieu de l'interview : Angoulême

interview menée
par
6 mars 2006

Bonjour Bouss ! Tu es cette année à Angoulême pour dédicacer ton premier album, Ascensions. Est-ce aussi ta première interview ?
Bouss : C’est effectivement ma première interview à Angoulême mais surtout la première pour un site spécialisé BD. Jusqu’à présent, je n’avais répondu qu’à des sollicitations de magazines locaux. Donc, content de répondre aux questions de vrais fans.

Super, Planetebd tient un scoop ! Ta biographie humoristique en ligne sur le site des éditions du Cycliste laisse entendre que tu ne connaîtrais pas ta date de naissance précise???
Bouss : Je suis né le 20 août 1981. Je n’avais mis que l’année, être plus précis n’était pas vraiment… capital, non ? Quand à mon pseudo, c’est simplement un diminutif de mon nom de famille (Bousson), un pseudo qui me suit depuis le lycée.

Tu nous résume ton parcours ?
Bouss : Pendant ma scolarité au lycée, je m’amusais déjà à dessiner puis confectionner mes propres albums de BD avec la reliure et tout. Mon Bac en poche, j’ai intégré les Beaux Arts. Là, il a fallu que je mette un peu ma passion en veilleuse parce que la BD n’y était pas précisément la bienvenue. Puis, j’ai enchaîné avec une toute jeune école d’arts appliqués, l’ENAAI à Chambéry. J’y ai rencontré de grands auteurs du septième art comme Fabien Velhmann (Le marquis d’Anaon…) et Vincent Bailly (Angus Poderhill…), qui ont été mes professeurs. J’ai choisi en option principale la bande dessinée tout en apprenant l’illustration, le graphisme… J’y ai beaucoup progressé et c’est pendant ces études que j’ai su que je voulais faire de la BD mon métier.

Comment qualifierais-tu ton trait ?
Bouss : En rentrant à l’ENAAI, je me suis remis à lire beaucoup de BD (j’en ai lues très peu pendant ma période aux Beaux-Arts), dont celles de Lewis Trondheim (Donjon, Lapinot…), Manu Larcenet (Le combat ordinaire, Les Entremondes…). J’ai découvert qu’on pouvait dessiner « autrement », avec un trait plus lâché, plus spontané. J’ai remis en cause tout mon travail passé, j’ai commencé à beaucoup expérimenter. Je me suis inspiré indéniablement de cette nouvelle façon de penser le trait (qu’on appelait « nouvelle BD » à l’époque - un terme qui ne veut pas dire grand chose puisque des génies comme Fred, par exemple, travaillaient déjà dans cet esprit il y a 30 ans), puis j’ai peu à peu digéré mes influences. Ce qui n’empêche pas que l’on retrouve certains tics communs venant de ces influences dans mon dessin comme la fameuse barre des sourcils pour exprimer l’énervement ou la colère chez un personnage. Je suis conscient du fait que j’ai encore beaucoup de lacunes, et ça me motive d’autant plus à essayer de progresser. Je devrais d’ailleurs passer plus de temps à faire du croquis mais j’ai aussi d’autres passions comme la musique, le cinéma - j’ai réalisé un moyen métrage - qui font que je m’éparpille et que je ne consacre pas assez de temps au dessin pur. Je me cherche encore, mon trait évoluera toujours au cours des années, et c’est bien ainsi, l’idée d’avoir un style définitif, qui n’évolue plus, très peu pour moi. Ce que j’ai envie de faire avec mon trait, c’est de trouver une synthèse entre un style assez lâché, (d’où les influences Trondheim, Larcenet..) et un style moins… lâché (J’adore le travail de Schuitten, la gravure en général, parce que mes influences graphiques ne viennent pas que de la BD).

Angoulême ressemble pour toi à une love story. Raconte nous comment tu y as démarché les éditeurs.
Bouss : Mon diplôme option BD empoché, j’ai monté une dizaine de projets et j’ai commencé par démarcher les principales maisons d’édition par courriers, de manière très classique. Et je n’ai reçu en retour que de « très classiques » lettres de refus… En 2004, je me suis rendu au festival international d’Angoulême où j’ai fait le tour des barnums. Le Cycliste fut le seul à montrer un réel intérêt pour mon travail. Ce que j’ai présenté à l’époque n’était pas encore très abouti mais je savais et répétais que mon album définitif gagnerait en qualité : « Voilà c’est ça. Mais lorsque je ferai ma BD, cela sera bien mieux », ce qui n’est pas vraiment le genre d’argument qu’il faut sortir lors d’un entretien ! Le Cycliste a cru en ma marge de progression et en la crédibilité du projet. On a bien accroché ensemble. Tout s’est confirmé deux mois plus tard lorsque j’ai signé pour une première série.

Déçu de ne pas avoir été sélectionné cette année (2006) dans la catégorie « meilleur premier album » ?
Bouss : Cette question veut elle dire que l’album avait le potentiel pour y être, dans cette catégorie ? Si c’est ça, merci ! Bien sûr que ça aurait été génial, d’être sélectionné, mais …déçu ? Non, tant que les retours critiques sur le scénario sont bons, c’est ça l’essentiel ! Et pour l’instant, ça se passe bien.

De quoi parle Ascensions ? De toi ?
Bouss : Rétrospectivement (c’est un peu tôt pour s’y prendre ! Mais je vois les choses comme ça), je pense cette série restera sans doute l’une des plus personnelles de ma carrière. C’est une véritable introspection. Je ressens le besoin intrinsèque de mettre beaucoup de moi dans mon travail. C’est l’une des raisons pour lesquelles je souhaite être l’auteur complet, scénariste et dessinateur, de mes propres histoires. Néanmoins, la dédicace figurant en page de garde de l’album remercie tous ceux sans qui rien n’aurait été possible. Tout spécialement mon éditeur qui a vraiment été de bons conseils. C’était quand même mon premier scénario en entier qui allait être publié ! Je lui ai tout d’abord fait parvenir un découpage case par case. On a consacré des heures à en discuter, et il m’a bien aidé à l’améliorer, notamment au niveau du rythme de la narration. Logique que je remercie tous ceux qui m’ont aidé à progresser. Mais là en fait je me rends compte que j’ai répondu à côté de ta question !! Alors, de quoi parle Ascensions ? C’est une quête, une quête d’absolu. L’histoire d’un groupe de personnages qui essaie de comprendre le pourquoi du comment d’un édifice aux dimensions inhumaines, dont on ne sait rien. Ça parle du rapport qu’entretiennent les personnages avec cet endroit, de leur façon d’y évoluer. Si on voulait faire très « simple », on pourrait dire que ça parle de l’humain face à la complexité de la vie, de son rapport face à cette incroyable complexité.

Mais encore… à quelle catégorie de BD appartient Ascensions ?
Bouss : Quel genre ? Si on devait la définir, je la qualifierais de « quête initiatique et onirique avec une bonne dose de fantastique ». Ce qui n’est pas vraiment un genre à proprement parler ! Le titre de la série Ascensions (avec un « s ») est au pluriel, parce que chaque protagoniste effectue sa propre ascension, parcourt cette « structure-monde » de manière très personnelle. Le personnage d’Harold, par exemple, s’obstine. Il veut comprendre le pourquoi et le comment, la raison d’être de cet édifice apparemment sans limite. Mon propos est clairement métaphorique. On parle bien là de métaphysique, de tout ce qui nous dépasse. La volonté d’Harold de comprendre le pourquoi de la structure est à l’image de celle de l’homme qui essaie par tout les moyens de comprendre comment est né l’univers.

Un programme ambitieux pour des débuts…
Bouss : Je suis conscient que cela peut paraître ambitieux. Peut être trop. C’est clairement un terrain très casse-gueule, et c’est pour ça que j’y ai ajouté une petite dose de distance, au travers de Hubert et sa manière bien à lui de se moquer de cette quête. Enfin… pour voir si j’ai visé trop haut, il faudra attendre la fin de l’histoire, dans le troisième tome… !

Justement, un mot sur la suite ?
Bouss : La série comptera donc trois tomes. La fin de cette trilogie, je la connais bien sûr, mais de manière assez « floue» (pour ce qui est du tome 3), parce que je veux me laisser une marge d’improvisation conséquente, j’ai besoin d’être aussi perdu que les personnages, me mettre au même niveau qu’eux. Si j’avais décidé d’écrire les trois tomes dès le départ, j’aurais du me contenter d’illustrer mon texte pendant près de trois ans. Ça ne m’intéresse pas. Je veux vivre l’aventure au fur et à mesure. Il me semble essentiel de conserver une part d’indéterminé dans mon travail. Le deuxième volet est déjà très avancé, contrairement au troisième tome, pour lequel je n’ai que les grands axes en tête. Tout ce que je peux dire, c’est que ça va être de plus en plus sombre, de plus en plus axé sur la psychologie des personnages, leurs doutes, leurs peurs…

Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Bouss : Je conseillerais Calvin et Hobbes (Bill Watterson). Une des rares qui m’ait réellement fait marrer ! Un grand classique aux dialogues et encrages magnifiques, parsemé de réflexions sur la société moderne d’une justesse et d’une pertinence incroyables. Et tout aussi la totalité des fabuleux albums de Marc Antoine Mathieu (Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves, Le Dessin…) dont on ne dira jamais assez de bien !

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?
Bouss : Manu Larcenet. Peut-être l’auteur avec qui j’ai le plus d’affinités. Il sait marier à la perfection gravité, légèreté et humour. Sa capacité à passer d’albums très personnels, d’une noirceur incroyable (Presque, l’Artiste de la famille…) à des séries à l’humour énoooorme, cruel, décalé, (et aussi à des albums où il mélange tout ça) est incroyable ! C’est l’un des très rares auteurs qui aient réussi à me toucher et me faire marrer dans un même album, et pour ça je dis : respect.

Merci Bouss !