Chloé Wary est une jeune autrice qu’il faut suivre absolument, même s’il n’est pas simple de la garder dans son champ de vision, tant elle aime aller dans des endroits inattendus. En témoignent ses œuvres totalement différentes : la condition difficile des femmes en Arabie Saoudite avec Conduite interdite, le quotidien d’une équipe de football avec Saison des roses et un concert mémorable de Insula orchestra en l’honneur de Beethoven avec Beethov sur Seine. Avec son style pétillant, sa défense forte et intelligente des femmes, son humour et son humanité, elle se fait remarquer avec Saison des Roses qui obtient plusieurs prix dont le prix Artemisia et le prix du public France Télévisions au festival d’Angoulême (janvier 2020)… rien que ça ! Nous nous devions de rencontrer cette étoile montante dans la banlieue qu’elle dessine, avec la ville fictive Rosigny, en face de son ancien lycée ! Une « meuf » pas comme les autres qui cadre bien avec un contexte pas comme les autres, masque vissé sur le visage et distance obligatoire. On a même pu respecter les règles des 10 kms !
interview Bande dessinée
Chloé Wary
Bonjour Chloe Wary. Pour les lecteurs qui ne te connaissent pas encore, pourrais-tu te présenter rapidement ?
Chloé Wary : Déjà merci pour l’invit ! Moi, c’est Chloé Wary, j’ai 25 ans. Je suis autrice de bande dessinées. Ma première BD est sortie en 2017, Conduite Interdite chez les Editions Steinkis : ça va faire 4 ans. C’était mon projet de diplôme. J’ai retravaillé avec Steinkis pour l’album Beethov sur Seine et entre les deux, j’ai fait Saison des roses qui est l’histoire d’une équipe féminine de football de banlieue qui va lutter pour sa survie. Gros album pour moi car il s’est passé plein de choses…
Tu démarres avec un sujet difficile et profondément d’actualité avec Conduite interdite. Pourquoi faire ce choix pour ton premier album ?
CW : C’est vrai qu’à l’époque, les Saoudiennes n’avaient pas encore le droit de conduire. A ce moment là, j’étais en deuxième année de DMA (diplôme des Métiers d’Art) sur l’illustration et la BD donc il fallait un projet de diplôme sur un livre pour tenir sur neuf mois. J’ai choisi la BD : ce n’était pas forcément un format imposé. On pouvait aussi faire de l’illustration ou du livre jeunesse. Je me suis donc intéressée à ce sujet-là car je suis tombé sur un livre qui s’appelle Révolution sous le voile écrit par Clarence Rodriguez qui est partie vivre douze ans en Arabie Saoudite. Ce livre est en fait un recueil où plusieurs Saoudiennes racontent leur quotidien : tu as une blogueuse, une institutrice et même la princesse-la fille de l’ancien roi- ! Elles parlent sur leur pays qui est tout jeune et comment elles vivent leur condition en tant que femme, leur travail, leur accès au droit… Ce qui m’a fasciné, c’est cette soif de liberté qu’elles avaient. C’est marquant d’avoir le portrait de femmes hyper à distance de ce que moi je vis au quotidien et de ce que j’ai connu car j’ai grandi dans une société où les libertés pour les femmes sont à égal de celles des hommes pour la majorité d’entre elles. Ce n’est pas du tout le même contexte mais ça m’a fait beaucoup mûrir de pouvoir projeter à travers leur histoire mon propre cheminement féministe. Du coup, je me suis laissé emporter par leur histoire et l’évènement qu’il y a eu en 1990 où elles ont pris le volant pour la première fois et elles ont manifesté au péril de leur vie. C’est une histoire de fou et je voulais raconter cet évènement.
Tu as lâché le mot et je voulais t’en parler. Est-ce que ce mot « féministe » te correspond vraiment ? Même si la femme est très présente dans chacun de tes albums, est-ce que ce n’est pas un peu réducteur ?
CW : Disons que cela fait partie d’une facette de moi. J’imagine qu’il y en a beaucoup d’autres. C’est un peu ce que je dis dans Beethov sur Seine : les identités sont plurielles. On n’est pas juste féministe, on n’est pas juste une femme ou un homme. C’est beaucoup plus complexe. J’aime bien cette idée de ne pas appartenir à un seul genre ou un seul mouvement, même s’il y a des choses qui me sont plus ou moins proches et même s’il y a des choses qui vont me toucher plus ou moins en fonction de mon vécu. On va dire que je suis féministe mais plein d’autres choses aussi.
Ton deuxième album est un gros virage puisque tu passes de l’Arabie Saoudite à une équipe de foot de banlieue. Raconte-nous la genèse de l’album Saison des roses
CW : C’est vraiment toute cette question de devoir justifier pourquoi l’on fait quelque chose : c’est marrant ! Quand on fait quelque chose dans la société, c’est vrai qu’il faut être en mesure d’expliquer pourquoi. Je commence à m’y habituer même s’il y a encore des choses que je n’arrive pas à saisir et que je préfère laisser à libre interprétation. Comme je le disais, le fait de travailler sur les Saoudiennes et de ne pas me sentir directement concernée et en même temps d’être hyper touchée et de commencer à assumer ce truc de sororité qu’on peut ressentir même à 8000 kilomètres de distance, ça m’a donné la force de parler d’un contexte qui m’était un peu plus familier. Même si Barbara, ce n’est pas moi et que Saison des roses n’est pas du tout une autobiographie, il y a une banlieue, des injonctions et un contexte qui font que forcément, je m’identifie beaucoup plus à Barbara qu’à Nour, même si finalement, cela se joue à peu de choses. Je crois que j’avais envie de parler d’une jeune Française qui évolue dans un environnement urbain et de ce que cela provoque chez elle comme questionnement identitaire et la confrontation au monde des adultes et au fait que toi, tu as des idéaux en tant que jeune fille et tu as la société ! La passion du football, c’est quelque chose que j’avais vraiment laissé de côté et je m’interdisais de pouvoir l’exploiter. J’ai toujours été hyper supportrice mais je ne m’étais jamais projetée sur le terrain. Pendant mon adolescence, je n’ai jamais pu jouer en club car j’étais focalisée sur le dessin. C’était vraiment mon truc : la BD, le dessin, le manga. C’était là où je me sentais le plus à ma place et j’ai laissé le foot entre parenthèses et puis, il y a eu une sorte de réveil corporel où tu te dis que tu as envie aussi de faire quelque chose de ton corps. Pourquoi ne pas renouer avec cette passion d’enfance ? Ça a mijoté dans ma tête et Barbara est devenue jeune footballeuse et Savigny est devenu Rosigny et voilà !
Cet album a obtenu quatre prix et pas n’importe lesquels. Comment as-tu vécu ce grand succès ?
CW : Franchement, je ne m’y attendais pas du tout. J’ai du mal à réaliser. Même en étant sur scène au théâtre à Angoulême, je ne réalisais pas trop ce qu’il se passait et je ne réalisais pas l’ampleur que ça allait prendre dans les mois qui ont suivi : les demandes de rencontres, d’ateliers, d’exposition, que ce soit les médiathèques, les festivals… Il y a eu le confinement ensuite, qui a quand même un peu ralenti, on va dire, la vague. Malgré tout, quand je vois les sollicitations partout et à l’étranger, grâce à l’Institut français et au réseau culture, c’est un truc de ouf ! C’est génial, mais je n’ai plus du tout la main et je ne contrôle plus grand-chose. Je suis beaucoup sollicitée pour en parler et ça a été assez difficile de faire Beethov sur Seine entretemps car les sollicitations étaient très éparpillées. Mais c’est clair que ça a changé le cours des choses. Clairement, j’arrive à vivre de la BD. Que ce soit par les droits d’auteur que je touche sur cet album assez régulièrement parce que Flblb est une petite maison indépendante et très engagée et les avances ne sont pas forcément celles des gros éditeurs donc je touche très rapidement les droits d’auteur. Comme on s’entend super bien, ils me permettent d’avoir un matelas de sécurité depuis un an et c’est incroyable ! Ça n’arrête pas et j’ai encore des sollicitations pour Saison des roses et ça ne touche pas que l’Ile de France. J’ai vraiment fait beaucoup de villes de France que ce soit Angers, Nantes, Lille et même dans le sud: Marseille, Toulouse grâce au prix Paca... C’était une tournée nationale incroyable et j’ai même fait des visios avec des jeunes du Mexique et du Costa Rica ! Ça a duré une heure et on était à l’autre bout du globe : on se parlait et ils avaient lu Saison des roses et c’était des jeunes Mexicains ou Mexicaines ! Jamais je n’aurais pensé que cela aurait été jusque là.
Tu as aussi été sollicitée par le monde du foot suite à cet album, non ?
CW : Il y a un équipementier, Alké soccer, qui suit mon travail depuis deux ans comme moi j’ai pu suivre leur expansion. C’est un jeune équipementier lié au football féminin et aux joueuses. Ils nous ont sponsorisé notre équipe à Wissous et ils ont fait les maillots. Ils participent aussi à l’opération « Octobre Rose ». On échange régulièrement avec Alké et il y a peut-être un projet d’association qui va se développer avec eux pour promouvoir le foot féminin à travers le monde. Il y a eu l’affiche avec les Bordelaises avec le magazine Gaze que je ne connaissais pas mais qui est un magazine super engagé et féministe. Graphiquement parlant, c’est magnifique : ça m’a tout de suite touché que ce soit par la typo, les mises en page, les couleurs. Là vraiment, ça fait vibrer la corde graphique de mon cœur ! J’ai pu aussi rencontrer pas mal d’équipes indépendantes de foot féminin qui ne dépendent pas de la fédération et qui ont monté leur propre asso sur Paris. Beaucoup sont militantes LGBT. il y a un côté très militant et très politisé dans le développement de ce foot, motivé par des femmes très engagées avec des marraines comme Marinette Pichon qui lutte pour l’égalité salariale… Ça m’a ouvert beaucoup de pôles que ce soit en BD ou en foot.
Tu dribbles encore tout le monde (et peut-être même toi-même) puisqu’après le foot, tu abordes la musique classique. Peux-tu faire un petit pitch de Beethov sur Seine ?
CW : C’est ma rencontre avec le compositeur Beethoven et mon immersion dans les coulisses de Insula orchestra à la Seine Musicale, la grande scène à Boulogne sur l’île Seguin où il y avait avant l’usine Renault. C’est une grosse bulle de verres en forme de note de musique qui flotte. C’est vraiment incroyable à voir de loin et hyper impressionnant. C’est un projet initié par Steinkis, l’orchestre et moi. Avec l’orchestre, j’ai un historique qui date de 2017. On a fait un dépliant illustré ensemble : c’était mes premiers clients en freelance. Il y a vraiment un lien particulier. Ce projet traitait de la compositrice Louise Farrenc, que je ne connaissais pas évidemment, mais qui est une grande compositrice de musique classique. Même les amateurs de musique classique la connaissent peut-être un peu moins car c’est une compositrice et comme les autrices, elle est peut-être moins visible. Elle date du XIXème et il s’avère qu’elle a une certaine œuvre. Steinkis m’avait mis en relation avec l’Orchestre car j’avais fait Conduite interdite qui avait ce caractère féministe qui pouvait cadrer avec le projet. Après ce dépliant, on s’est dit qu’on pourrait poursuivre notre collaboration sur quelque chose d’un peu plus dense et on a commencé à réfléchir pour faire quelque chose autour de Laurence Equilbey. C’est resté en stand bye et j’avais Saison des roses qui commençait à prendre de plus en plus d’importance. A l’été 2019, Steinkis nous relance : l’orchestre est en train de construire une grosse production pour les 250 ans de Beethoven en 2020 : Pastoral for the planet. C’est en plus l’année de la BD pour Steinkis donc on reprend contact et on me propose ce projet qui mêle Beethoven, Insula orchestra et Laurence Equilbey. Le livre doit sortir en novembre 2021 et c’est un projet qui me tient sur toute l’année. Je dois terminer mes planches à l’été 2021 et c’est donc assez intense de faire une BD en neuf mois. Et cette fois, je vais vraiment être payée pour faire de la BD ! On me mensualise : c’est comme si j’avais un CDD mais pour faire de la BD ! Je commence les répétitions en octobre, j’accumule beaucoup de croquis, de prises de notes. Je rencontre les musiciens. C’est pas forcément évident de s’intégrer là-dedans car eux sont dans leur truc et ils sont là pour travailler. Il y a certes le côté artistique mais il y a aussi le côté entraînements toute la journée qui est un vrai travail. Je prends mes marques et plus j’assiste aux répètes, plus ils se confient à moi. On apprend à se connaître et j’oriente petit à petit mes questions. J’essaie de voir tout ce qu’ils peuvent m’apprendre sur Beethoven car je suis vraiment perdue. Je les suis jusqu’à la production finale en février. On a eu beaucoup de chances car après, c’était le confinement. J’ai pu assister trois fois au concert. C’était incroyable car ce n’était pas juste un concert classique où on est assis et on écoute des musiciens. Il y avait des danseurs et une dynamique hyper politique qui motivait tout le projet. C’est vraiment un hymne à la nature à travers la Pastorale : une ode écologique.
Est-ce que cela a été difficile pour toi de construire cet album ?
CW : Oui, ça n’a pas été simple. J’ai beaucoup échangé avec Blandine qui m’accompagnait à toutes les répètes. C’était vraiment ma référente. C’est elle qui m’a intégré et m’a aidé dès qu’il y avait besoin. J’ai beaucoup discuté sur la façon d’aborder ce gros projet car je me demandais ce que je faisais là. J’étais là pour faire un travail de reportage presque journalistique mais pourquoi moi ? Ca m’a plu mais ce n’était pas évident car je n’avais pas forcément la bonne méthode et les bons outils pour savoir comment aborder les gens : c’est un métier ! Avec Blandine, à force d’en parler, elle m’a dit qu’il fallait que j’assume mon côté hyper naïf par rapport à ce milieu là. C’est de cette manière là que j’allais décomplexer le lecteur tout en lui donnant envie de découvrir ce monde comme ils ont pu me donner envie d’être sensible à ce qu’ils faisaient. Ça n’a vraiment pas été simple aussi parce que j’avais accumulé beaucoup de matières : photos, vidéos, croquis. Je me suis retrouvé avec trois, quatre carnets et je me suis demandé comment j’allais organiser tout cela.
Parlons de ton graphisme. Tu passes du noir et blanc à la couleur suivant les albums. Pourquoi ?
CW : Pour Conduite interdite, le rotring et le trait noir, c’est quelque chose que j’ai beaucoup fait en DMA. Il y avait ce truc de faire des croquis avec cette espèce d’esthétique dans la classe, ce qui m’a beaucoup influencé. Ça m’a permis de faire autre chose que du feutre car je faisais tout en couleurs ou au surligneur. J’avais toujours dessiné comme ça et là, j’ai essayé de rendre mon dessin plus sobre. Il y avait cette recherche d’aller à l’essentiel et de ne pas en faire trop. Finalement, par rapport à l’ambiance Arabie Saoudite et cette espèce de non mixité qui craignait, les hachures et le noir et blanc correspondaient bien. Pour Saison des roses, c’était un peu un retour à l’outil de prédilection. J’ai quand même essayé de le discipliner : c’est pour ça que j’ai des gouttières bien définies, je remplis toutes mes cases et le coloriage est nickel. En tout cas, j’essaie vraiment de le discipliner et de ne pas être dans quelque chose de trop expressionniste car sur 250 pages, il faut qu’on ait cette impression de cohérence. Pour Beethov sur Seine, il y a eu cette contrainte du temps où je me suis dit que je ne pouvais pas tout assumer en neuf mois surtout que je ne savais pas combien de pages allait faire l’album. Me connaissant, je ne pouvais pas faire moins de 120 pages, c’est impossible pour vraiment prendre le temps de raconter le cheminement. En neuf mois, le temps de découverte, le temps de faire un story board et de mettre les planches au propre, c’était impossible d’utiliser le feutre et les couleurs. Je me suis faite à l’idée de m’imposer cette contrainte et j’ai cherché à retranscrire la musique et les sensations autrement que par la couleur et les formes. J’ai cherché à destructurer les planches et essayé d’invoquer cette portée avec cette espèce de ruban noir qui revient tout le temps. C’est un peu comme un fil conducteur, la portée de la musique qui nous accompagne sur tout le livre.
On a l’impression que tu as mélangé plusieurs arts et sensations dans Beethov sur Seine comme dans le poème Correspondances de Baudelaire. C’est un effet recherché ?
CW : Oui c’est un effet réfléchi. J’avais envie que ce soit très ondulatoire parce que dessiner la musique, c’est un peu un challenge quasi impossible. Je me suis faite à l’idée que pour la musique, il n’y a pas d’autres formes que celle qui est sonore. Vouloir la poser sur du papier, ce sera toujours réducteur quelque part. A partir de ce moment là, je voulais faire avec mes armes et les outils de la BD. J’avais envie de bousculer les codes de cases, histoire de vraiment créer une identité par rapport à ce projet.
Dans certaines cases de cet album, j’ai cru voir un style à la Marc Chagall ou au Douanier Rousseau. Ce sont des influences pour toi ?
CW : Oui ! Ça me touche beaucoup ce que tu dis. J’adore Chagall ! C’est un peintre hyper poétique et j’adore les estampes japonaises qui m’ont aidé à intégrer des cercles. Dans les estampes, ils aiment bien mettre des petites bulles avec le nom de l’auteur et la date et j’ai fait pareil dans la page du premier poème où je parle d’Alicia Keys et où l’on voit Beethoven. Douanier Rousseau, c’est une vraie référence pour moi. Après la Pastorale et tout l’univers qu’ils ont développé dans le concert avec cet attachement à la nature, j’ai chopé un catalogue d’expo de Douanier Rousseau et j’ai mangé les tableaux. C’est trop riche ! Il y a une double page où c’est la composition d’un de ses tableaux : le fauve en référence avec ceux qui sont là et Beethoven qui est dans cette jungle avec une prolifération de plantes et de formes organiques et végétales. Cela vient en parallèle pour moi de la foisonnance des notes et de la composition de Beethoven qui est hyper généreuse car il y en a partout. En même temps, il y a quelque chose de très organisé, de très fort comme chez le Douanier Rousseau. Ce n’est pas comme les Impressionnistes qui vont faire beaucoup de touches par-ci par-là et ça va être très spontané. Chez le Douanier, il y avait quelque chose de très carré. Ça m’a cadré et ça se marie mieux avec le format BD.
Pour moi, on découvre plus Chloé Wary que Beethoven car cette BD montre tout ce que tu es : une personne très mélangée, complexe. Par exemple, tu écris avec des mots de banlieue et des textes poétiques et littéraires ou tu abordes le message écologique qui contraste avec la peinture de grands bâtiments. On a l’impression que tu es partout à la fois comme si tu avais besoin de tout découvrir.
CW : Je me rends compte à quel point ça m’a fait du bien de faire cette BD. Sortir de la zone de confort, d’être confrontée au réel et d’être dans une toute autre démarche que d’être dans la fiction et de l’écriture plus introspective, ça a été une vraie dispersion. Steinkis m’a vraiment laissé faire ce que je voulais. Parfois, j’étais perdue et parfois je me sentais libre d’y intégrer tout ce que je voulais. Ils m’ont laissé libre d’agencer comme j’avais envie, les textes n’ont pas du tout été modifiés et j’ai pu utiliser le vocabulaire que je voulais. Je ne sais pas s’ils font ça avec tout le monde mais je me suis approprié tout ça avec joie. C’est vrai qu’il y a plein de choses qui m’intéressent. Ce côté banlieue et littéraire, c’est vrai car j’ai fait un Bac L et j’ai toujours aimé l’écriture. Quand j’écoute des textes de rap qui me touchent, derrière il y a une vraie poésie et des allitérations et tout cela est construit et travaillé. Je capte cette sueur que l’artiste met dans ses textes et ça me touche. Le littéraire est présent un peu partout et il faut juste avoir envie de le voir.
Quels ont été les retours de cet album et notamment de la part de l’Insula orchestra ?
CW : Le plus gros soulagement, c‘est quand Laurence l’a lu. Je ne voulais pas lui montrer le story board et le brouillon. Je lui ai envoyé le PDF quasiment fini. C’était un peu tendu car si cela ne lui plaisait pas, on était fin août ! Finalement, elle a tout validé et elle a insisté pour écrire la préface. C’est hyper touchant : c’est Laurence Equilbey quand même ! Elle est à la tête d’un empire et elle est hyper stimulante. C’était hyper flatteur pour moi pour tout le travail que j’ai mené avec eux. Pour Blandine, c’est aussi un peu son livre car elle m’a tellement accompagnée et soutenue, elle a vraiment été touchée par le fait que cela racontait exactement ce qu’il s’était passé. Les musiciens, ça fait presque un an que je ne les ai pas vus mais je ne sais pas. Kathy, Alain, Riggio… C’est frustrant car il y a beaucoup de musiciens où je n’ai pas eu encore leur retour et j’aurais trop aimé en parler avec eux. Ça me rend un peu triste. J’ai des retours sur les réseaux sociaux qui sont positifs : ça me touche beaucoup et la presse commence vraiment à en parler depuis quelques mois. Il y avait plein de choses de prévu pour valoriser l’ouvrage comme des festivals avec le festival de Nancy sur la musique qui devait avoir lieu en mai mais qui a été annulé. On fait comme on peut avec les temps actuels…
As-tu d’autres projets ? Peut-être une BD en collaboration ?
CW : Ça va dépendre de la personne et du projet, mais ce n’est pas exclu. J’ai ma collègue de toujours depuis le DMA, Lucie Albrecht, qui a sorti sa première BD, Bruits de couloir, et qui termine la deuxième en ce moment. Je sais qu’avec elle, on fera quelque chose car on s’est construite professionnellement ensemble. Je ne me vois pas ne pas travailler avec elle : je sais que cela arrivera un jour mais il faut laisser le temps décider du bon moment. Pour l’instant, j’ai envie de raconter des trucs mais je n’ai pas forcément besoin de quelqu’un. J’ai plein de trucs dans les tiroirs. Quand tu es auteur de Bds, il faut que tu penses dans les deux ans à venir. Je sais très bien ce que je vais faire en 2021 et 2022 et je suis obligée de penser comme ça. Par exemple, j’ai fait dix planches pour la revue collective Pandora de Casterman. Depuis, avec l’éditeur ; on a gardé contact et on se demande ce qu’il nous intéresserait de travailler. On se laisse du temps et ce qui est génial, c’est qu’il n’est pas pressé. Quand ce sera le moment, je m’y mettrai à fond. Mais j’aime bien laisser mijoter les idées et les scénarios. La suite pour l’instant, ce sera avec Flblb. Je ramais sur le scénario que je voulais faire depuis que Saison des Roses était sorti. J’avais beaucoup de mal à sortir de cette histoire et de cette structure narrative. Depuis que Beethov sur Seine est sorti et que je peux me relancer dans l’écriture, je sais que j’ai eu le temps de mûrir de nouveaux personnages, de nouveaux questionnements et une nouvelle histoire.
Ce sera toujours dans le domaine du foot ?
CW : Non. Je vais juste garder le même univers : Rosigny sur Seine mais je vais développer des nouveaux persos et une nouvelle étape de vie. Dans l’idéal, ça sortirait début 2022. J’ai la fin d’année pour réaliser le story board et les planches. Pour moi, j’ai fait le plus dur : écrire le scénario. Mais j’ai vraiment galéré car j’avais l’impression de refaire Saison des Roses en moins bien. J’avais l’impression de reprendre cette structure : il y a un problème, on n’est pas content, on s’organise… et ça ne marchait pas. Avec Flblb, c’est bien car il y a un dialogue constant. On communique beaucoup et ça me nourrit et me développe sur pas mal de choses. C’est très privilégié comme rapport et je ne pense pas que ça puisse être aussi fluide avec d’autres éditeurs. Ce qui fait que Saison des Roses ressemble à ça.
Si on te donnait le pouvoir de rentrer dans la tête d’un auteur, qui choisirais-tu et pourquoi ?
CW : J’ai le droit à plusieurs car j’hésite trop ? C’est trop dur ! S’il ne faut en choisir qu’une, ce serait Rutu Modan, autrice de BD israélienne que j’ai découvert avec Exit Wounds. Cet album m’a trop scotché. J’adore la façon dont elle écrit : les personnages sont tellement justes et il y a une telle sobriété dans ce qu’elle raconte et comment elle le met en scène. Son dessin est très ligne claire format roman graphique épais mais ça reste très tradi dans la compo. Il y a un contexte historique puissant, des personnages toujours en quête d’eux-mêmes et de liberté, en rapport avec la famille et la société. Elle a une telle compréhension des gens ! Le dernier album Tunnel, j’ai vraiment adoré. Ça parait tellement simple quand tu le lis, c’est limpide mais c’est du génie. Pourtant, elle a fait des cours d’archéologie et elle a fait au moins deux-trois ans de recherche et de documentation. Elle a réussi à imbriquer tout un tas d’intrigues mais tu ne perds jamais le fil. Cette autrice, elle est là-haut !
Merci Choé !
A Béatrice...