Lorsque nous avions rencontré en juillet dernier David Finch, nous étions ravis de croiser la route de cet artiste sympathique mais nous étions ressortis quelque peu frustrés de ne pas avoir eu le temps nécessaire pour l'abreuver de nos nombreuses questions à son encontre. Comme le dessinateur adore la France, il est revenu lors de la Paris Comics Expo 2013 et nous avons ainsi pu remettre le couvert, avec cette fois-ci plus de temps ! Voici donc une seconde interview plus complète qui vous permettra de découvrir un véritable amoureux de son métier.
interview Comics
David Finch
Réalisée en lien avec les albums Batman, le chevalier noir T2, Justice League Saga T1, Grant Morrison présente Batman T6
Bonjour David. Peux-tu te présenter et nous dire comment tu es entré dans le monde des comics ?
David Finch : Bonjour, je m’appelle David Finch et je suis un dessinateur de comics. Je suis entré dans le milieu il y a 19 ans, ça fait un bout de temps ! J’ai vraiment commencé en 1994 en travaillant pour Top Cow Productions durant un stage de 3 mois. C’est à peu près là que j’ai réellement commencé, et c’était vraiment le bon moment pour faire son entrée dans ce milieu car tous chez Image Comics recherchaient de nouveaux talents et on travaillait tous pour des artistes. Je travaillais pour Marc Silvestri (NDR : créateur de Top Cow Productions et dessinateur de comics), et il nous apprenait le boulot. C’était vraiment une chance de faire son entrée dans l’industrie des comics sans être vraiment un professionnel. J’ai appris tout ce que je sais de cette première période d’initiation chez Top Cow. J’ai travaillé sur le projet Cyberforce pendant à peu près 1 an et demi / 2 ans, puis j’ai fait Ascension. Après 1999, et après deux autres séries, j’ai travaillé pour Marvel durant assez longtemps, 9 ans. Puis, j’ai été chez DC Comics et cela fera 4 ans à la fin de cette année. Ça fait déjà une longue carrière. Je me suis bien amusé, j’ai dessiné Batman, Avengers, X-Men, tous les personnages de mes rêves...
Quelles sont tes influences ?
David Finch : Mes premières influences sont tous les créateurs originaux d’Image Comics : Marc Silvestri, Jim Lee, Todd McFarlane, Rob Liefeld, Erik Larsen, tous les artistes auxquels j’étais exposé en ce temps-là. Ma sœur était une grosse fan de comics et c’est elle qui m’a amené à cet univers. C’était une énorme fan d’Alan Davis, et ce dernier a donc été une grosse influence pour moi. Greg Capullo, je suis vraiment fan depuis ses débuts et c’est aussi une grosse influence pour moi. Et puis, une fois que j’ai commencé à dessiner un peu, j’ai découvert Dale Keown et c’était énorme pour moi. Une fois que j’ai vraiment travaillé, j’ai vraiment lutté au début, je n’arrivais pas à trouver mes marques. Autant il y avait tellement d’artistes chez Image Comics qui étaient des grosses influences, autant je ne pouvais pas dessiner comme ça. Même si on peut dire que ce sont vraiment mes racines, j’avais des problèmes avec ça. Et j’ai découvert Simon Bisley, c’est un dessinateur de comics anglais et son travail est plein d’énormes muscles et de personnages de folie, mais c’est aussi très basé sur un style noir et blanc très pur... Je ne sais pas si je peux vraiment réussir à le décrire, c’est quelque chose qu’on doit voir par soi-même. En tout cas, je trouve ça vraiment génial et j’ai l’impression que c’est dès que j’ai commencé à introduire du Simon Bisley dans mon travail que ce sont vraiment faites les bases de ce que je suis maintenant : ce sont les artistes de chez Images comics, mixés avec Simon Bisley. De là, j’ai découvert Travis Charest, qui a un style très beau et délicat, c’est très moderne. A partir de là, je crois que la façon dont nous travaillons tous maintenant, en 2013, est vraiment basée sur le style de Travis de 1995... Ce sont mes racines, et encore aujourd’hui je découvre des artistes tous le temps, de nouvelles influences. Par exemple, actuellement, Milo Manara est une grosse influence pour moi...
Et au milieu de tous ces modèles et de toutes ces influences, comment décrirais-tu ton propre style, comment est-il né ?
David Finch : Je dirais qu’aussi loin que je me rappelle, en tant qu’artiste, mon travail consiste à aller toujours plus loin et d’essayer de trouver dans les scènes la vue la plus expressive que je puisse. Je suis un grand fan de Carlos Pacheco. C’est une énorme influence pour moi et je pense que ce serait vraiment génial si j’arrivais à intégrer son type de visuels avec autant d’impact. Et c’est ce genre de dessinateur que j’essaye d’être. Je ne sais pas si c’est tout à fait ce que je suis mais j’ai l’impression, quand je me rappelle ce que je voulais être, que ce type de visuels, avec beaucoup de noirceur, beaucoup de colère - je crois que j’ai beaucoup de colère à l’intérieur de moi, donc c’est un peu ma manière de relâcher tout ça, de le mettre dans mes pages – j’ai l’impression que quand je fais ce type de visuels, c’est ce que je suis. Et quand je l’oublie, je deviens un peu plus tactique, et je me mets à penser qu’une structure détaillée doit prendre le dessus et les choses deviennent un peu plus difficiles. Ça s’éloigne de moi. Je peux faire des allers-retours, mais c’est ce que j’essaye d’être et je sens que c’est ce dans quoi je suis le plus à l’aise, ce que je suis vraiment.
Après Image Comics/Top Cow et Marvel, tu travailles maintenant exclusivement pour DC Comics. Pourquoi ce choix ?
David Finch : C’est un choix très simple. Je dois dire que j’ai eu des bons moments en travaillant pour Marc Silvestri, c’est un grand artiste, un grand professeur, un très bon patron et un mec super. Quand j’ai quitté Image Comics pour aller chez Marvel, ce n’était pas pour partir de chez Top Cow, mais plutôt pour essayer quelque chose de différent. J’avais besoin de nouveauté, de travailler sur de nouveaux personnages... J’avais besoin d’évoluer. Je suis resté chez Marvel longtemps, et je ne voulais pas spécialement en partir, ils étaient très bien avec moi. J’aime toujours Marvel et j’ai toujours beaucoup d’amis chez eux avec qui je garde le contact. Je suis allé chez DC pour faire Batman. C’était le personnage sur lequel je rêvais de travailler, je voulais vraiment dessiner Batman. Donc j’ai fait Batman pendant la majeure partie des 3 premières années. Cela fait beaucoup pour moi, je n’ai pas l’habitude de travailler aussi longtemps avec le même personnage. Depuis, j’ai travaillé avec Geoff Johns et je trouve que, en vieillissant, le scénariste avec qui je travaille devient plus important pour moi que le personnage de la série. Si j’ai l’occasion de travailler avec un scénariste que je respecte, et que le scénario m’excite vraiment, c’est devenu le plus important. Donc j’adore travailler avec Geoff Johns en ce moment sur Forever Evil. J’ai passé de très bons moments à DC jusqu’ici, mais ce que je fais aujourd’hui, c’est ce qui m’excite vraiment.
Puisque tu parles de Batman : en France, le troisième recueil de The Dark Knight est sorti depuis 2 mois, et c’est l’histoire que tu as dessiné d’après le scénario de Gregg Hurwitz. Que penses-tu de ta performance sur Batman en général et sur cette partie en particulier ?
David Finch : A l’origine, j’ai dessiné Batman dès que je suis entré chez DC, et j’ai vraiment apprécié mais je sentais que je n’étais pas tout à fait près pour ça. On m’a prévenu que ce serait dur : j’ai pris ça au sérieux mais je n’imaginais pas que ce serait aussi dur. Mais j’ai apprécié... Au final, travailler avec Gregg Hurwitz... Je voulais faire une série où je saurais où allait le scénario, je voulais travailler sur une histoire vraiment géniale. Gregg venait juste de terminer une histoire avec le Pingouin qui était incroyable, j’adore cette histoire, et donc je l’ai supplié de venir. Il avait déjà une histoire qu’il devait faire seul, cela devait être une mini-série sur l’Épouvantail. J’ai réussi à faire en sorte qu’il puisse libérer du temps pour venir sur Batman The Dark Knight. C’était vraiment important pour moi d’avoir Gregg Hurwitz au scénario, et j’étais tellement content avec son histoire ! J’ai l’impression qu’en ce qui concerne l’illustration, j’ai une vraie tendance à me trouver et m’oublier à travers ça. J’ai l’impression qu’il y a des périodes où, comme quand j’ai fait Moon Knight chez Marvel, je peux vraiment me rappeler celui que j’étais, ce qui m’excitait. C’est ce je veux être en tant qu’artiste. Et puis j’ai oublié, je me suis éloigné de ça, j’ai utilisé beaucoup de 3D pendant un long moment, et même si ça m’a beaucoup apporté, mais c’est aussi très « froid ». Mon travail sur Justice League of America me paraît un peu froid, et maintenant que je fais Forever Evil, je suis en train de revenir à ce que je faisais avant. Je commence à me rappeler un peu qui j’étais. J’essayais de grandir, d’évoluer, mais c’est vraiment difficile de savoir quand on grandit ou quand on diminue... Mais revenons à la question. Avec Batman, pour dire la vérité, je ne me sentais pas comme j’aurais dû, mais je veux encore travailler dessus. Je sens que j’apprécie vraiment d’avoir une chance de réessayer et faire quelque chose de grand, d’un peu plus éloigné... Quelque chose qui me ressemble un peu plus.
Pendant que tu travaillais sur Batman, il y avait un autre artiste qui illustrait The Dark Knight : Greg Capullo. Est-ce que tu aimes son travail et est-ce que tu lis ce qu’il fait ?
David Finch : Avant toute chose, je lis absolument tout, pas seulement de Greg Capullo, je suis aussi un grand fan de Scott Snyder, je pense qu’ils font vraiment un Batman idéal. Je suis fan de Greg Capullo depuis au moins 1992. Je l’ai suivi tout du long, il a été sur Spawn pendant des années, et j’ai tout ce qu’il a fait sur cette série. Quand il est arrivé sur Batman, j’étais tellement excité ! Il travaille avec Danny Miki maintenant, qui je trouve encre tellement naturellement. C’est un travail incroyable, c’est tellement fluide... Il ne s’assied pas pour se perdre en permanence avec plein de détails. Tout ce qu’il fait, ce sont des grosses images puissantes. Je respecte vraiment ça, j’adore son travail.
Tu as fait 3 chapitres sur Justice League of America : pourquoi seulement si peu ? As-tu vu le travail de Brett Booth qui a repris derrière toi sur cette série et qu’en penses-tu ?
David Finch : Avant tout, je pense que Brett Booth est incroyable, quel que soit ce qu’il entreprend. J’ai vraiment l’impression qu’il réalise la meilleure période de sa carrière si on regarde son travail et son exposition, et je suis vraiment content pour lui. J’ai eu la chance de le rencontrer une fois, c’est un mec génial et son travail est incroyable. J’aime vraiment ce qu’il a fait sur Justice League of America. Pour ma part, je n’ai fait que 3 chapitres car j’allais commencer à faire Forever Evil après avoir travaillé sur Batman, et ils cherchaient quelqu’un pour lancer JLA. Vu mon emploi du temps, je pouvais au moins faire le lancement, mais comme Forever Evil allait commencer, je ne pouvais malheureusement faire que 3 chapitres de JLA. On savait dès le départ qu’on travaillerait peu de temps dessus.
Maintenant, tu travailles sur Forever Evil, une série en 7 chapitres avec Geoff Johns. Que peux-tu dire aux lecteurs français à propos de cette série ?
David Finch : C’est le premier crossover majeur du relaunch « New 52 » de DC comics. C’est une chance de première catégorie de prendre tout ce qu’il s’est passé depuis longtemps, toutes ces histoires, et vraiment se concentrer sur ce que DC veut changer et ce qu’ils veulent vraiment faire de leur univers, vers quoi ils veulent le faire évoluer dans le futur. C’est une super histoire et c’est très bien écrit, j’adore ce qu’a fait Geoff Johns. Mais je pense que le plus important, cela représente vraiment ce vers quoi l’univers DC tout entier va aller dans les temps qui viennent. Il y a tellement de changements majeurs, de styles et d’introductions de personnages... Je pense que si vous êtes fan de DC, ou si vous voulez le devenir, c’est vraiment la série faite pour ça et pour voir ce qui va arriver dans le futur.
Peux-tu nous parler de tes prochains projets ?
David Finch : Je n’en sais honnêtement rien. On en parle en ce moment et on a quelques idées, mais je n’ai rien décidé encore donc je ne sais pas... C’est plutôt inhabituel. Pour le moment, j’ai encore 3 chapitres à faire pour Forever Evil. Donc pour l’instant, c’est encore en discussion et je n’en sais rien, je n’ai pas de réponse...
Est-ce que tu lis des comics en ce moment ? Si oui, lesquels, et quels sont tes lectures préférées ?
David Finch : Je lis plein de comics tout le temps. Mes lectures préférées en ce moment, c’est tout ce que fait Scott Snyder, et Geoff Johns. J’ai l’impression qu’une fois que je travaille avec un scénariste, j’aime me plonger dans tout ce qu’il a pu faire car c’est vraiment utile de savoir d’où ils viennent. Et aussi de savoir quelles sont les décisions que prennent d’autres artistes sur leur travail, j’apprends de tout cela... Récemment, je viens de lire une histoire que Lee Bermejo a fait pour Batman Black and White qui est géniale. Je suis un gros fan de Brian Azzarello, je lis tout ce qu’il fait. J’adore sa Wonder Woman en ce moment, c’est incroyable. Brian Michael Bendis chez Marvel, Matt Fraction... J’essaye vraiment de suivre ce que font les artistes que j’aime, ce qu’il se passe dans le milieu... J’essaye d’être aussi attentif que je peux. J’adore les comics, donc ce n’est pas vraiment du travail que de lire tout ce qu’ils font.
Si je te donnais le pouvoir de visiter l’esprit d’un autre artiste, de comics ou non, vivant ou mort, pour comprendre son esprit, ou peut-être lui voler des techniques, qui choisirais-tu et pourquoi ?
David Finch : Frank Frazetta ! Plus précisément Frank Frazetta en 1965. Ce serait parce que, dans l’histoire des comics - c’était un dessinateur de comics mais je pense qu’il était bien plus fort en illustrations - il avait les plus belles, simples et parfaites compositions, mélangées avec de la puissance, que tous les autres artistes auxquels je peux penser. Il mettait énormément de fluidité et tout naissait de ça. On peut ressentir l’impact de ses dessins. J’ai vu des artistes qui peuvent faire de belles poses dynamiques, j’ai vu des artistes qui avaient beaucoup d’éléments comme ça, mais il était l’artiste qui avait tout. C’est tellement parfait. J’ai des livres de lui, et il y a dans ses images tellement de puissance, une telle symétrie, une telle beauté... Je voudrais définitivement être Frank Frazetta. Je jetterais tout ce que j’ai aujourd’hui, j’abandonnerais tout pour ça !
Merci David !
Remerciements à Louise Rossignol pour son organisation et à Mickaël Géreaume pour son chapeau et toutes ses questions !
Retrouvez également notre première interview de David Finch en cliquant ici !