Découpage halluciné, spectaculaire, cadrage ambitieux, original, un trait précis, impressionnant, énorme… Les qualificatifs élogieux ne manquent pas pour décrire l’œuvre de J.H. Williams III. Cet artiste au talent confirmé et à la renommée grandissante s’est fait la main sur des récits écrits par des grands noms des comics comme Alan Moore, Warren Ellis, Greg Rucka ou encore Grant Morrison. Il y a pire comme collaboration ! De fait, il nous met régulièrement de grosses baffes dans la tête avec des titres comme Promethea, Desolation Jones ou Batwoman. Nous avons évoqué avec lui son parcours, sa carrière, ses rencontres et surtout sa façon très personnelle de concevoir la bande dessinée. Disponible et adorable, J.H. Williams III s'est prêté au jeu de l'interview avec une sincérité rare.
interview Comics
J.H. Williams III
Bonjour Jim, pour te présenter, raconte-nous comment tu en es venu à faire de la bande dessinée ? As-tu suivi des cours ?
JH Williams III : En fait, je suis autodidacte. En grandissant, je n’ai jamais eu l’accès à des écoles d’art spécialisées et je me suis donc formé moi-même aux comics. Je suis tombé totalement amoureux d’eux lorsque j’étais très jeune et j’ai toujours dessiné depuis. Quand j’ai vu que je pouvais en faire un métier, j’ai choisi très tôt, vers l’âge de 10 ans de me lancer en espérant devenir un artiste. C’est en voyant les travaux de Michael Golden ou de John Byrne que mes premières inspirations sont venues. Être exposé très jeune à des œuvres comme celles-ci, cela insite à ne pas penser les comics autrement. Ils étaient très différents et m’ont véritablement captivé, au point qu’ils m’ont donné envie de commencer dans les comics. Ce ne sont pas les seuls, je pourrais aussi te citer Jack Kirby, Moebius, Jim Starlin, Steranko et bien d’autres. Leur diversité de style m’a toujours plu.
As-tu d’autres influences ?
JHW : J’en ai énormément aujourd’hui, qui proviennent du monde entier. Et pas seulement des comics ou d’un autre art, mais aussi de la vie en elle-même.
Si tu devais décrire ton style en un mot ?
JHW : Fusion. C’est vraiment un micmac d’idées, de styles et de designs.
Ton style est très original. Comment pars-tu d’une page blanche ?
JHW : Merci, c’est un gentil compliment ! Je vais être honnête et reconnaître que je ne me trouve pas original. Je ne crois pas que quelqu’un ait un style innovant aujourd’hui. C’est toujours inspiré du style d’un autre ou de quelque chose qu’on a pu voir. L’art est un forum où on échange nos visions, depuis fort longtemps. Les comics n’échappent pas à cette règle, les influences du passé améliorent les travaux présents. C’est pour ça que je vois mon style comme une fusion. C’est véritablement beaucoup de choses qui me plaisent et que je mélange afin d’emmener tout ça dans des directions insoupçonnées. Beaucoup de choses que j’ai faites ne sont pas très originales lorsqu’on les regarde longtemps après. L’aspect de mon design me vient sans doute de Steranko et dans sa façon d’aborder l’art séquentiel et les illustrations, qui sont justes fantastiques. Je pense que mon dessin est au final un résumé de toutes mes influences. J’explore et multiplie les expériences afin d’apprendre un peu plus chaque jour, ne sachant pas forcément si cela peut marcher. J’espère toujours y parvenir dans quelques années.
Promethea est la première série par laquelle nous t'avons découvert en France. C'est une histoire assez longue et qui, surtout, est assez complexe. Cela a t-il été simple pour toi de mettre en images le récit d'Alan Moore ?
JHW : Rien n'est jamais simple lorsqu'il s'agit d'illustrer une histoire d'Alan Moore ! Mais c'était vraiment génial de travailler dessus. J'ai relevé le challenge et je peux dire qu'aucune autre histoire que l'on m'a donnée ou que j'ai écrite ne m'a autant emballé. J'ai pu apprendre énormément et repousser mes limites en défrichant moi-même des territoires inexplorés.
On peut dire que ton style a vraiment progressé sur Promethea, tu en es conscient ?
JHW : J'ai progressé sur ma façon de travailler en expérimentant énormément. Mes progrès sont peut-être plus visibles car l'histoire elle aussi était expérimentale. Basiquement, Promethea m'a donné l'envie d'explorer des idées que j'avais de côté depuis longtemps et ainsi de voir le résultat une fois terminé. Cela m'a aussi montré que l'on pouvait illustrer une histoire sans limite de cases. Je pense que tous mes autres comics ont bénéficié de mes progrès sur Promethea.
Ensuite, nous t'avons retrouvé sur un titre de Warren Ellis, Desolation Jones. Comment t'es-tu retrouvé sur cette mini-série ?
JHW : Quand Promethea arrivait à sa fin, j'ai demandé à mon éditeur s'il avait d'autres projets à me présenter. Il m'a notamment fait le pitch de Desolation Jones. Le scénario avait l'air génial et surtout très différent de Promethea. Je voulais faire le bon choix pour mon second projet et j'ai fait de ce projet une priorité.
Comment s'est passée votre collaboration ?
JHW : Malheureusement, j'ai eu très peu de contact avec Warren Ellis, bien moins que ce j'aurai voulu. J'ai essayé d'avoir une communication agréable avec lui afin que le projet en bénéficie et que mes rapports s'améliorent avec les scénaristes à venir. Je n'ai jamais travaillé directement avec lui et c'est le principal regret que j'ai de cette expérience.
C'est pour ça que la série n'a jamais eu de suite ?
JHW : C’est un manque de chance, je pense. Il n'y avait plus de script lorsque j'avais besoin de travailler. Il a fallu que je cherche un autre projet pour vivre. J'ai attendu que l'histoire s'arrête et forme un arc complet.
Que penses-tu de Desolation Jones, aujourd'hui ?
JHW : Je trouve que Desolation Jones était un vrai bon boulot. J'aurai voulu continuer s’il y avait eu un autre cycle complet. J'aimais le personnage et le concept. J'aurai été très content de revenir dessus, mais je n'en ai plus entendu parler par la suite.
Par la suite, nous t’avons retrouvé sur le Batman de Grant Morrison. Comment cette collaboration s’est-elle déroulée ?
JHW : Grant est un auteur avec lequel j’adore travailler. Je pense que nous sommes sur la même longueur d’onde. J’ai commencé avec lui sur Seven soldiers of victory et ce qu’il a créé pour Batman est excellent. Nous parlons beaucoup tous les deux de l’histoire, jusqu’à la dernière page. Nous ne sommes pas toujours d’accord et il est souvent ennuyé par ce que je lui propose, car j’essaie toujours d’avoir le dernier mot. Et comme il adore mon travail, ça se passe bien !
Dans L’île de Monsieur Mayhew, tu dévoiles plusieurs styles graphiques au sein d’un seul album…
JHW : Oui, j’essaie de proposer un style pour chaque héros, sur leur séquence dévoilant leur passé. Cela s’est fait naturellement car je voulais créer quelque chose de vraiment unique pour eux. C’était très important pour moi car je souhaitais que ces personnages de DC Comics puissent être connus des lecteurs. Grant a écrit le récit de telle sorte que l’on pouvait croire que ces personnages ont vécus eux aussi de nombreuses aventures. C’est pourquoi j’ai voulu leur donner une attention à chacun au sein de l’histoire de Batman. Le but était bien sûr de créer des souvenirs, mais aussi de tester des approches différentes pour moi. Quand j’y pense, je dirais que chacun des projets qui a suivi Promethea a été en quelque sorte une extension de mon travail avec Moore. Cela n’a pas été simple de créer les nombreux univers visuels mais je suis assez content du résultat.
Récemment, tu as poursuivi ton expérience dans le Batman Universe avec Batwoman, c’est un personnage que tu aimais ?
JHW : Oui, je l’adore. Kate Kane est l’un des personnages les plus intéressants créés depuis longtemps.
Batwoman est excellent. Que nous promets-tu pour la suite ?
JHW : Plein de choses, en tout cas c’est ce que nous espérons. Nous voulons que les nouveaux épisodes soient encore meilleurs, mais il ne faut pas faire preuve de trop d’impatience !
J’ai cru comprendre que tu allais continuer la série tout seul, c’est vrai ?
JHW : Oui, c’est vrai mais partiellement. Aujourd’hui, j’ai Haden Blackman qui m’assiste sur l’écriture de la série. J’assume les dessins seul sur le premier arc. Amy Reeder partage avec moi le visuel sur le second arc, puis je m’occuperai du troisième tout seul. Je vais débuter ce cycle en octobre. Le premier cycle s’intitule Hydrology et se compose de cinq épisodes. Le chapitre zéro et le premier arc seront compilés dans le prochain volume de Batwoman. Haden et moi écriront ensuite Batwoman aussi longtemps que l’éditeur le voudra bien ou jusqu’à ce qu’on n’ait plus rien à raconter.
Au cours de ta carrière, tu as côtoyé des scénaristes talentueux comme Warren Ellis, Alan Moore ou Grant Morrison. Penses-tu que ces collaborations t’ont plus ou moins influencé pour créer tes propres récits ?
JHW : Et n’oublie pas Greg Rucka ! Ses scénarios sont excellents, ils sont pour moi aussi puissants que ceux des auteurs que tu as cités. Par contre, effectivement, avoir travaillé sur des projets aussi énormes a fait que j’ai sûrement appris sur la façon de concevoir les histoires et sur l’écriture en elle-même.
Ces derniers temps, nous t’avons surtout vu chez DC Comics. Aurais-tu envie de faire des choses chez Marvel ?
JHW : Tout se passe très bien chez DC pour moi en ce moment. Batwoman m’occupe énormément. Mais je ne sais pas de quoi le futur sera fait. Il y a beaucoup de personnages que j’apprécie chez Marvel. Cela pourrait être fun.
Connais-tu quelques auteurs ou quelques BD venant de France ?
JHW : J’essaie d’en connaître un maximum et je profite de mes voyages pour prendre les albums qui sont traduits. Certaines bandes dessinées ou auteurs sont parmi les meilleurs au monde. Beaucoup m’inspire et j’espère que leurs influences transpirent dans mes planches.
Réaliser une BD est une chose que tu aimerais faire ?
JHW : Oui, énormément, j’adorerais avoir cette opportunité que se soit en France ou en Europe. Mais je ne suis pas sûr que les éditeurs soient prêts à accepter mes travaux et ma façon de vouloir briser les conventions. A voir !
Quels sont tes prochains projets ?
JHW : Dans l’immédiat, c’est bien sûr Batwoman, mais à terme j’aimerais emprunter ma propre voie et créer mes propres concepts et mes personnages.
Quel super héros aimerais-tu illustrer et dont l’occasion ne s’est pas encore présentée ?
JHW : Ce serait Spider-Man, sans hésitation.
Quels sont tes derniers coups de cœur en BD ?
JHW : Il y en a beaucoup… Si je devais t’en citer quelques unes, je te dirais Borgia, One Soul (de Ray Fawkes), Love & rockets, Atomic Robo et les Métabarons.
Si tu avais le pouvoir de visiter le crâne d’un autre auteur pour comprendre son génie et sa démarche, qui choisirais-tu ?
JHW : Michael Golden est juste énorme pour moi, un véritable génie.
Si je t’offrais un super pouvoir, lequel voudrais-tu ?
JHW : Ralentir le temps dans le monde entier afin que je puisse rendre mes planches en temps et en heure.
Pour conclure, si tu n’avais pas fait de comics, que serais-tu devenu ?
JHW : Je serais sûrement très triste ! Peut être que j’aurais réalisé des films ou écrit des romans.
Merci beaucoup Jim !